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par quelque défaut corporel incontestable furent élues d’emblée pour le voyage, et les beautés parfaites furent exclues ; mais, lorsqu’on arriva aux beautés douteuses, les difficultés commencèrent. Osman tenait conseil avec Maléka et lui soumettait les questions embarrassantes. Il découvrait des taches là où il n’avait vu que des attraits incomparables. Les blondes lui paraissaient rousses, les brunes étaient des négresses, et il s’impatientait contre Maléka, qui, redoutant sérieusement le retour des scènes tragiques dont le nouveau pacha s’efforçait de chasser le souvenir, détruisit d’un seul mot son échafaudage de sophismes et de mensonges. Voyant qu’Osman prenait ses observations en mauvaise part, elle le pria de faire son choix tout seul, puisqu’il connaissait Zobeïdeh aussi bien qu’elle. Ces paroles, dites d’un ton ferme, mirent fin au débat, et Osman déclara aussitôt qu’il s’en rapporterait aveuglément au choix de Maléka. Celle-ci eut beau se défendre et s’excuser, il fallut se soumettre et choisir, ce qu’elle fit avec des égards extrêmes pour les sentimens des deux parties, d’Osman et de Zobeïdeh. Il va sans dire que ni l’un ni l’autre ne furent satisfaits. Osman déclara que Maléka ne lui avait pas laissé le quart d’un visage qu’il pût regarder sans avoir le frisson, et plus tard Zobeïdeh jura que Maléka avait voulu la désespérer en lui amenant pareil essaim de beautés sans pareilles. Les esclaves éloignées du harem par mesure de prudence furent vendues au bazar et leur prix servit à payer une partie des dettes contractées par l’ancien bey. Ce dividende fut réparti parmi ses créanciers à raison de dix pour cent ; pour le reste, Osman livra des billets que les créanciers acceptèrent, parce qu’ils ne pouvaient les refuser, et qu’ils transférèrent le plus tôt possible à leurs propres créanciers. À l’heure qu’il est, ils ont fait le tour de la ville, et ils continueront de voyager ainsi jusqu’à ce qu’il en reste un morceau. Après cela,… tant pis ; pour le dernier détenteur !

Maléka ignorait toujours les malheurs qui l’avaient frappée, et Osman, qui redoutait le spectacle des larmes et de la mélancolie, surtout pendant un long voyage, jugea plus sage de ne l’en prévenir qu’en approchant de Stamboul. De retard en retard, il arriva à Scutari sans avoir encore rien dit, pendant que Maléka, silencieuse et réservée, mais bonne et tendre mère, sentait son cœur bondir dans sa poitrine en apercevant les hauts minarets à l’ombre desquels ses enfans l’attendaient. Jamais elle ne s’était sentie si parfaitement heureuse qu’en montant dans le caïque qui devait la ramener auprès d’eux. Ce fut pendant cette courte traversée que, ne pouvant différer davantage, son mari lui apprit le vide affreux qui s’était fait pendant son absence. Sa douleur fut telle qu’Osman se félicita de ne l’avoir pas causée plus tôt, lorsque, à son inexprimable stupéfaction, Maléka, qui était demeurée quelques instans