Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
81
LA POÉSIE GRECQUE DANS LES ÎLES-IONIENNES.

« LE REVENANT. — Viens, ma femme, viens. Ne suis-je pas celui que tu as aimé dans le temps ? Ne me repousse pas, je suis Athanasi…

« L’INCONNUE. — Éloigne-toi de mes yeux ! tu me damnes.

« Il tombe sur elle et la saisit. Ses lèvres ont déjà touché sa bouche, et de ses ongles il commence à déchirer le voile qui couvre sa poitrine. Elle est nue… Il avance la main et l’introduit sans pitié dans son sein.

« Tout à coup il reste immobile, pétrifié, froid comme un serpent ; ses mâchoires claquent de frayeur. Il hurle comme un loup, il tremble comme une feuille… De ses doigts il venait de toucher le saint bois de la croix de Jésus.

« Cette sainte relique a sauvé la pauvre femme. Il s’est évanoui, semblable à la fumée. Alors on a entendu la chouette qui criait de dehors : « Athanasi Vaïas ! »


« LA MERE. — Éveille-toi, mon enfant, l’aube paraît sur les montagnes. Éveille-toi, que nous allumions notre feu, car l’étrangère nous attend.

« LA MERE à l’inconnue. — Bonjour, ma mère, as-tu bien dormi cette nuit ?

« L’INCONNUE. — L’infortunée dort très peu ; cette nuit, je n’ai pu fermer les yeux. Je vous salue, je dois vous quitter. Mon chemin est très long, et je suis déjà en retard.

« LA MERE. — Pourquoi ne nous as-tu pas éveillés et as-tu préféré rester seule ?… Va, ma mère, que le bon Dieu t’accompagne ! Donne-nous ta bénédiction.

« L’INCONNUE. — Pour la charité, pour le bien que vous m’avez faits, je prie le Seigneur qu’il vous accorde un sommeil toujours doux et tranquille. Je ne sais vous souhaiter d’autre avantage dans ce monde. Je le cherche jour et nuit et ne parviens jamais à le trouver.

« LA MERE. — La misère aussi est mauvaise, car elle porte avec soi bien des mépris.

« L’INCONNUE. — La richesse, je l’ai connue ; elle s’en est allée avec le temps.

« LA MERE. — Cachés dans les bois, nous vivons aussi comme des loups depuis la chute de la malheureuse Gardiki.

« L’INCONNUE. — Malheur ! malheur ! l’univers se précipite sur moi… Et quel nom a-t-on prononcé alors ?

« LA MERE. — Celui d’Athanasi Vaïas.

« L’INCONNUE. — Et moi je suis sa femme. Faites le signe de la croix. Prenez de l’encens ; brûlez-le pour renvoyer votre ennemi. — Hier soir il est entré ici, il est resté à mes côtés… Pardonnez-lui, chrétiens, pleurez mon malheur !

« Elle s’enfonce dans le bois. L’enfant et la mère frémissent d’horreur, et, en faisant le signe de la croix, ils la regardent de loin et tremblent. »


Les rapports intimes qui existent entre Santa-Maura et le continent expliquent le culte de M. Valaoritis pour les héros épirotes. Plus d’une fois Ali-Pacha menaça l’île où les klephtes trouvaient une vive sympathie et même un refuge, quand ils ne pouvaient résister aux troupes du vizir. M. Valaoritis, qui a compris de bonne