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Depuis que sa mère était morte, sa vraie patrie était l’Allemagne. Quelle ville choisirait-elle ? Longtemps indécise, elle résolut enfin de se fixer provisoirement à Dresde, où l’une de ses amies, récemment veuve, Mme Henriette Solger, lui offrait un asile. C’était au printemps de l’année 1824 que le divorce avait eu lieu ; vers le milieu du mois d’août, Mme de Lützow partit de Munster et s’établit à Dresde.

Qui dira la folie du cœur de l’homme ? Qui comptera ses bizarreries et ses contradictions ? Huit jours après ce départ, M. de Lützow, qui venait de faire un voyage à Copenhague pour un dernier règlement d’affaires, revient à Munster, et, n’y retrouvant plus celle qu’il a forcée de s’enfuir, il éclate en sanglots. Il parcourt la maison, elle est vide, elle est morte ; l’âme du foyer s’est envolée. Il descend au jardin, et il y voit un jardinier qui arrose des plantes. À quoi bon tant de soins ? Pour qui ces rosiers en fleurs ? Élisa n’est plus là pour les cueillir. À chaque pas il est assailli de souvenirs, et ces souvenirs sont des remords. Il comprend enfin tout le prix de celle qu’il a méconnue ; mais, comprenant aussi qu’elle est perdue pour lui à jamais, il lui demande en pleurant de rester au moins son amie. Ses lettres (Mlle Assing nous les donne) sont le douloureux témoignage des repentirs et des irrésolutions d’une âme faible. A-t-il renoncé à l’amour de cette femme pour laquelle il s’est séparé d’Élisa ? Non certes, mais il souffre et il pleure. « O chère, chère Élisa, écrit-il, sois heureuse,… garde le souvenir de celui qui a été ton mari… Adresse-toi à lui, il sera heureux de te servir, de réparer ses fautes, de contribuer à te rendre le bonheur… Encore une prière : fais faire ton portrait par le meilleur peintre de Dresde (à quelque prix que ce puisse être, aucun prix ne sera trop élevé), et envoie-le-moi. Oh ! que j’aie du moins ton image ! Mes pleurs m’empêchent de continuer. Écris-moi, console-moi, tu n’as pas dans le monde entier un meilleur ami que moi, un ami plus dévoué, plus fidèle. »

Mme de Lützow recevait encore d’autres lettres. Le frère de son mari, M. Léon de Lützow, sa sœur, Mme la comtesse de Dohna, lui prodiguaient les plus affectueuses consolations. Pour tous ceux qui la connaissaient, aucune pensée de blâme ne pouvait s’attacher à son rôle dans cette histoire. Toutes ces pages mouillées de larmes sont autant de témoignages rendus à sa douceur, à sa résignation, à la dignité de son caractère, à la sérénité de son âme. Que diront cependant ceux qui ne la connaissent pas ? Cette pensée préoccupe douloureusement le frère de sa mère, M. d’Hedemann-Heespen. Il aimait tendrement sa nièce, et il était le plus proche parent qui lui restât, car M. le comte d’Ahlefeldt, perdu plus que jamais dans une vie de dissipations et de débauches, se souvenait-il encore que