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que cette défense était levée par les événemens. Ses camarades partaient, il partit avec eux, et, le sac sur le dos, s’en revint à Magdebourg. Le père maintint sa défense ; c’était sa façon de protester contre la violence des vainqueurs. « Retournez à l’université, dit-il à son fils, l’année scolaire n’est pas finie. » Que cette protestation paraisse un peu puérile dans la forme, je le veux bien ; il est impossible pourtant de ne pas respecter le sentiment qui la dictait, et elle atteste quelle était alors l’inflexible résolution du patriotisme allemand. Immermann revint à l’université : la ville était déserte, la jeune population s’était dispersée pour se rallier bientôt sous la bannière de l’insurrection nationale. Après la bataille de Leipzig, des corps d’étudians se formèrent de tous côtés, et allèrent remplacer les rangs vides parmi les chasseurs de Lützow. Pris d’une fièvre nerveuse qui faillit l’emporter, Immermann ne put rejoindre ses compagnons ; il en éprouva un désespoir si profond qu’il tomba dans une sorte d’atonie intellectuelle et morale. La guerre seule pouvait ranimer son âme. Dès le lendemain du retour de l’île d’Elbe, il s’engagea, se battit à Waterloo et entra dans Paris avec les soldats de Blücher.

La lutte finie, le jeune soldat, qui avait gagné au feu ses épaulettes d’officier, revint achever ses études dans sa chère université de Halle. Il ne la quitta qu’en 1817 pour entrer dans la magistrature. Nommé d’abord référendaire à Magdebourg, il fut, deux ans plus tard, envoyé à Munster en qualité d’auditeur ; on sait que ces titres, référendaire, auditeur, représentent les premiers degrés de l’ordre judiciaire en Allemagne. Immermann passa quatre années à Munster (1819-1823), et c’est pendant cette période que sa vocation se déclara d’une manière éclatante. D’où lui venaient ces inspirations, cette ardeur à créer, cette joie de l’invention poétique, toutes choses qu’il ne connaissait pas jusqu’alors et qui l’étonnaient lui-même ? L’histoire littéraire ignorerait encore ces détails sans les révélations de Mlle Assing ; la biographie de Mme de Lützow, comtesse d’Ahlefeldt, fait partie désormais de la biographie de Charles Immermann.

Un jour, Mme de Lützow, au milieu de graves embarras d’affaires, est obligée de prendre l’avis d’un jurisconsulte. Nous avons déjà dit quel était le désordre du comte d’Ahlefeldt ; le fastueux seigneur, pour payer ses dettes, n’avait pas craint de confisquer la fortune de sa femme et de sa fille. Il y avait plusieurs années que Mme de Lützow réclamait en vain l’héritage de sa mère et les revenus que son père lui avait constitués en dot. Que faire ? Elle demanda conseil au magistrat dont chacun vantait la science et la droiture. Ce ne fut pas seulement l’homme de loi qui répondit à l’appel de la