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l’inconnu qu’il prétend révéler se trouve exposé tout au long dans les plus classiques manuels. Il a cru inventer, il n’a fait que se souvenir. De nombreuses lectures ont peu à peu constitué dans son esprit un fonds sur lequel il a travaillé comme sien, et qu’il s’imagine ingénument avoir créé. Cette méprise du moins peut avoir encore son côté utile, si elle peut convaincre le public que toute science, toute philosophie et tout art n’existent pas sans la critique historique, leur premier et indispensable fondement.

S’il est pénible de voir certains esprits se consumer en d’aussi stériles efforts, il est consolant d’en voir d’autres appliquer leur travail et leur savoir à consolider simplement l’édifice déjà élevé en fortifiant ses bases et en y ajoutant de nouvelles. De ce nombre est M. Ch. Waddington, qui, sous le titre d’Essais de Logique[1], vient d’offrir au public le résumé des leçons faites par lui à la Sorbonne de 1848 à 1856. Nous avons vu avec joie l’importance attachée par l’auteur aux études logiques, importance qui domine en quelque sorte celle des autres études. Ce n’est pas que la logique forme un ensemble de connaissances pour ainsi dire matérielles : elle ne comprend absolument aucun fait réel, mais elle sert à étudier, à reconnaître, à classifier tous les phénomènes puisés dans la réalité dont les collections diverses composent les autres sciences, et c’est ainsi que ces sciences n’existent que par elle. Entre la volonté humaine et le problème à résoudre, quel qu’il soit, physique ou psychologique, il y a un abîme que la logique doit remplir, une difficulté absolue que la logique doit seule trancher. Sans elle, sans la méthode dont la présence ordonne et classifie, les sciences, ne seraient plus que des nomenclatures stériles pour le progrès ; les connaissances humaines ne formeraient qu’un vaste dictionnaire dont les termes indépendans et privés entre eux de leurs rapports naturels ne fourniraient pas matière à de nouvelles découvertes. Aussi les plus grands noms philosophiques sont-ils ceux qui se sont principalement appliqués à dégager et à vulgariser les lois de la logique et de la méthode : Socrate, Aristote, Bacon. La logique, si l’on veut, n’est qu’un instrument, mais c’est un instrument indispensable, c’est l’instrument créateur. Les progrès matériels de la civilisation sont dus à la présence et à l’amélioration continue des machines et des instrumens de travail ; la méthode joue dans le domaine de la pensée le même rôle que les machines dans l’industrie. Il y a de plus en elle un caractère de généralité qui ne permet à aucune science particulière de lui échapper. M. Waddington a très justement insisté sur ce point, qui est de la plus haute importance devant les privilèges et l’indépendance que s’attribuent spontanément les sciences spéciales. De ce que chaque science a son objet propre, il ne s’ensuit pas qu’elle ait le droit de posséder sa méthode particulière, mais on peut dire que le procédé spécial qu’elle revendique n’est qu’une application proportionnée de la méthode, qui est une et générale. Autrement il faudrait conclure que chaque science doit se contenter d’une seule langue et qu’elle peut être admise à ignorer toutes les autres.

Les Essais de M. Waddington offrent une analyse intelligente et complète des différens procédés de la logique. Il y traite très convenablement du syllogisme,

  1. 1 vol. in-8o ; L. Hachette.