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à la curiosité du savant et de l’artiste. L’art égyptien, qui a son idéal comme l’art grec, conduit, sous une apparence monotone, l’esprit de l’observateur dans les infinies profondeurs d’une réelle complexité. Il n’y a pas seulement place pour les travaux scientifiques et positifs des Champollion, des Wilkinson, des Lepsius, des Rosellini ; il y a place aussi pour l’imagination du romancier et du poète. Avec le style qu’on lui connaît, M. Gautier nous représente Thèbes et ses cent portes, ses palais, ses temples, ses cérémonies, ses triomphes, ses hypogées, et l’on erre sans étonnement avec l’écrivain sur ce sol sacré, sur cette terre pâmée de chaleur, où « la lumière frissonne en ondes visibles dans l’air transparent. » Jamais peintre n’a décrit avec son pinceau ce que M. Gautier peint avec sa plume, jamais coloriste n’a trouvé sur sa palette des tons aussi chauds, aussi lumineux ; mais malgré la justesse et la précision de ces épithètes, dont l’éclat micacé éblouit et fascine, on regrette que l’individualité égyptienne ne ressorte pas davantage. Le fond a peut-être influé sur la forme : sans doute les momies sont imprégnées de parfums, entourées de fines bandelettes, constellées d’ornemens précieux, mais ce ne sont pas moins des momies. Ressusciter tout un peuple et le montrer vivant de sa vie propre était un travail d’autant plus difficile que l’Égypte nous apparaît comme un sépulcre immense peuplé d’immortels cadavres. Les juifs et les chrétiens enterrent leurs morts et rendent au limon la chair pétrie de limon : Mémento quia pulvis es… Les païens plaçaient sur le bûcher les dépouilles mortelles, et les livraient ainsi à l’élément qui purifie et qui dévore. Les Égyptiens n’admettaient aucune destruction immédiate ou lente ; ils embaumaient tout ce qui avait eu vie : esclaves, animaux, tout, jusqu’à des œufs de serpent. Rien ne les arrêtait ; ils pénétraient aussi de bitume, de natrum et d’aromates les corps pourris par la lèpre ou l’éléphantiasis. Que signifiait cette conservation de la forme par-delà le tombeau ? A des peuples dont les institutions traditionnelles sont aussi arrêtées que celles des Égyptiens, il faut demander une autre raison que la mode ou le caprice. La mythologie égyptienne nous explique ces coutumes funéraires. D’après elle, la séparation que la mort établissait entre l’ame et le corps n’entraînait point leur indépendance. L’âme, dégagée de son enveloppe matérielle, lui restait néanmoins soumise, et les liens invisibles qui la réunissaient au corps devenaient plus étroits et plus resserrés. Quelles que fussent les régions extra-terrestres où l’âme était placée, elle subissait, à travers l’espace et par-delà le temps, les modifications naturelles ou accidentelles qui pouvaient atteindre le corps, privé désormais de volonté et laissé aux soins des survivans. On comprend ainsi ce qu’était le culte des momies chez les Égyptiens, puisque pour eux la conservation du corps était le gage des destinées de l’âme ; on comprend avec quelles précautions ils cherchaient à conserver l’intégrité de la forme.

Il n’est pas besoin de toute une série de siècles éteints pour trouver l’occasion de reconstruire une histoire perdue et de recomposer l’esprit d’une époque détruite. Il suffit souvent d’un fragment de siècle écoulé dans un certain milieu et sous l’empire de certaines circonstances pour prêter à un pastiche intéressant. On a fait et on peut faire plus ou moins heureusement des pastiches appliqués à différentes époques et à différens esprits. Il nous