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assez profond. Il résume heureusement ses plaintes sur la situation actuelle de l’art en disant que la cause du vice réside surtout dans le caractère de l’époque. Faut-il d’ailleurs se laisser éblouir par cette multitude de noms auxquels s’attache si facilement une demi-notoriété ? Il n’est pas plus vrai de dire du talent ce qu’on a dit de l’esprit : qu’il court les rues. Faut-il appeler esprit cette facilité caustique qui s’exerce sur toutes choses à tort et à travers ? de même faut-il appeler talent cette pratique matérielle qui court les ateliers, et dont l’exercice, devenu trop facile, n’a jamais été de l’art et n’est même plus du métier ? Grâce à cette pratique en effet, gens de talent comme gens d’esprit, tous sont tombés dans cette déplorable méthode de l’à peu près, qui, en se joignant à celle du convenu, enchaîne, tout en croyant la rendre libre, la production dans les limites de la plus étroite frivolité.

Il est un point cependant sur lequel nous ne sommes pas d’accord avec M. van Soust, c’est la question du paysage. Pour M. van Soust, le paysage est dans la peinture un objet secondaire qui se classe à côté des vues de villes et des natures mortes, et qui n’est devenu un genre distinct que depuis la décadence de la peinture héroïque et religieuse, dans laquelle il n’était qu’un simple accessoire. Dire que la peinture d’histoire domine tous les autres genres, c’est avancer une proposition qui peut avoir ses apologistes et ses contradicteurs ; mais dire ensuite que la peinture d’histoire comprend tous les genres, c’est la déclasser elle-même comme genre et la réduire à l’état d’abstraction. M. van Soust ne s’est pas aperçu de cette espèce de contradiction. « Rubens, dit-il quelque part, ne savait-il pas peindre les chevaux et les chiens, les ciels et les arbres ? » Donner ces paroles comme une preuve de l’infériorité du paysage, c’est le réduire à de trop minces proportions. La peinture des ciels et des arbres, si excellente qu’elle soit, ne suffit pas pour constituer le paysage : il contient autre chose. Le considérer ainsi, c’est le réduire à un simple effet de cadre et d’ornementation, tandis qu’il existe par lui-même, qu’il a une raison d’être absolue, puisqu’il est une des deux grandes faces sous lesquelles se manifeste la vie. La nature n’a-t-elle pas sa signification comme l’humanité, et n’a-t-elle pas le même droit à une représentation distincte ? Nous nous contentons de soulever l’objection sans la développer.

S’il ne faut pas faire du paysage une expression secondaire de la peinture, il ne faut pas en littérature tomber dans l’excès opposé, et faire de la description plastique l’unique objet d’un livre. Ainsi, dans le roman qu’il vient de publier[1], M. Théophile Gautier a trop cédé à cette préoccupation exclusive. On ne reconstruit pas toute une civilisation disparue avec la seule description du costume, des vases et des objets d’art que le temps nous a conservés. Ces débris veulent être animés. Bien que, dans les temps anciens comme dans les temps modernes, on puisse, du caractère particulier imprimé aux arts et à la littérature d’une nation, déduire la spécialité de son intelligence et de ses mœurs, l’écrivain qui raconte, qui vulgarise, si je puis m’exprimer ainsi, doit compléter par l’action et les sentimens de ses personnages la tâche abstraite du philosophe. L’Égypte est certainement une mine féconde ouverte

  1. Le Roman de la Momie, 1 vol., L. Hachette, 1858.