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ont éclaté dans les provinces de la Turquie, dans la Bosnie, dans l’Herzégovine, ont assurément de la gravité, puisqu’ils touchent à la condition des chrétiens de ces contrées ; mais ils ont leur place dans cet ensemble de difficultés classées sous le nom de question d’Orient. On peut voir encore, si l’on veut, des occasions possibles de froissemens ou de scissions ; dans le percement de l’isthme de Suez, dans la prise de possession de l’île de Périm par les Anglais ; toutes ces questions seront débattues sans doute, elles ne sont point l’objet immédiat des préoccupations actuelles.

Qu’est-il donc arrivé qui puisse expliquer une situation dont le moindre inconvénient est de prêter à toutes les conjectures et à tous les commentaires ? Il est arrivé, pour notre malheur que dans une néfaste nuit d’hiver, il y a deux mois, un crime sinistre a été commis, et depuis ce moment une sorte de maligne influence semble s’être attachée à la politique : elle a pesé sur les rapports de la France et de l’Angleterre, elle a provoqué la chute d’un cabinet à Londres, où elle embarrasse encore l’administration nouvelle : elle s’est fait sentir en Belgique ; en Suisse, et elle place aujourd’hui le ministère piémontais dans une situation au moins incertaine par suite de l’opposition que rencontre dans la commission législative le projet présenté pour punir les attentats et l’apologie des attentats ! En un mot, sous cette influence sont nées toutes ces questions imprévues relatives à lai répression du meurtre, aux réfugiés, à la police des passeports. Quels que soient cependant ces embarras ou ces nuages passagers, il y aurait une réflexion bien simple à faire, et cette réflexion devrait tout dominer : croit-on que deux peuples intelligens, deux gouvernemens sensés mettent leur politique, leurs résolutions, leurs relations permanentes à la merci d’une pensée criminelle conçue dans l’ombre ? Ce serait véritablement attribuer trop de puissance au crime. Si, à la veille de la rupture du traité d’Amiens, Napoléon n’avait été guidé par d’autres pensées que celle de poursuivre jusque dans Londres quelques conspirateurs ou quelques libellistes, la guerre n’eût point éclaté, il est permis de le croire : d’où il faudrait naturellement conclure que le trouble actuel dont on se préoccupe est plus dans l’apparence que dans la réalité des choses. Il faut bien s’entendre : cela ne veut point dire que dans le monde d’aujourd’hui il n’y ait aucune chance de conflit. Il y a malheureusement en Europe assez de situations contraintes, assez de difficultés latentes ; pour qu’il soit au moins téméraire de proclamer dès ce moment le règne de la paix universelle et indéfinie ; mais si la guerre naissait, elle naîtrait assurément pour des causes d’un ordre supérieur, non comme la conséquence d’un crime conçu et exécuté par des sectaires. Aussi bien, on l’a vu il y a quelques jours, le différend qui s’était élevé entre l’Angleterre et la France s’est dénoué très pacifiquement par la publication de la correspondance diplomatique échangée entre les deux cabinets après l’avènement du nouveau ministère de Londres. Sous une première impression, qui a causé la chute de lord Palmerston, l’Angleterre avait cru voir dans une dépêche de M. le comte Walewski ce qui n’y était véritablement pas, un doute jeté sur ses intentions, sur le caractère de ses lois et de l’hospitalité qu’elle offre à tous les proscrits. Le ministre des affaires étrangères de France, répondant à une demande des plus conciliantes de lord Malmesbury, n’a nullement hésité à