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point démenti jusqu’ici nos prévisions. Mais, dira-t-on, que faut-il donc pour vous contenter ? Ne peut-on obtenir votre suffrage à moins d’être un Mozart, un Rossini, un Weber, un Hérold ? N’y a-t-il pas des degrés du génie au talent ? — Mon Dieu ! je demande tout simplement qu’on ait des idées, des idées qui soient autre chose que les glouglous de la bouteille de M. Gounod, sur lesquels s’extasient tant de prétendus connaisseurs. Le talent n’est après tout que l’art d’émettre des idées. Si vous n’avez rien à dire, taisez-vous. Les plus beaux accords du monde ne feront pas prendre le change sur la pauvreté de vos inspirations. On ne parle jamais de la science de M. Auber, qui en sait pourtant un peu plus que les plus habiles, parce qu’on est sous le charme de ses mélodies, et qu’on ne demande pas à la grâce si elle sait bien pourquoi elle est la grâce. Quand j’entends la Fiancée, Fra Diavolo, Zampa, la Dame Blanche, même Joconde, l’Épreuve villageoise, et tant d’autres petits et vrais chefs-d’œuvre de l’ancien répertoire de l’Opéra-Comique, il ne me vient pas à l’idée de demander quels sont les titres universitaires de l’auteur qui m’a ému. La vraie science ressemble à la vertu, qui ne fait jamais parler d’elle, et qui se cache sous les bonnes œuvres, lesquelles nous révèlent sa présence. Paris, comme l’enfer, est pavé d’hommes habiles qui savent le sic et non de toutes choses, et qui parlent toutes les langues, excepté celle des oiseaux.

Je ne raconterai pas la pièce de MM. Cormon et Michel Carré, qui ont suivi pas à pas le roman bien connu de Walter Scott, en y mêlant quelques épisodes de leur imaginative qui n’ajoutent ni vraisemblance ni gaieté à la donnée du romancier. Comme dans tous les libretti qu’on nous fabrique depuis quinze ou vingt ans, on y trouve les mêmes ressorts, les mêmes fausses passions, le même langage exorbitant qui ne se parle qu’au théâtre, la même situation qui amène forcément la ballade connue, le chœur à boire et l’insupportable divertissement avec tous ses clinquans. Dans la pièce nouvelle, c’est Louis XI lui-même qui, au milieu de sa cour, au château du Plessis-lez-Tours, dit à l’un de ses gardes écossais, qui est le jeune Quentin Durward : « Si vous me chantiez quelque refrain de vos montagnes ? » Comme cela est neuf et ingénieux, surtout dans la bouche de ce vieux renard de roi de France ! Voilà pourtant les chefs-d’œuvre de cette jeunesse superbe qui devait réformer le théâtre et enterrer M. Scribe sous ses quarante années de succès ! Eh bien, la musique de M. Gevaërt est aussi neuve, aussi légère et aussi gaie que le poème, comme on dit, qui l’a inspirée. C’est un gros mélodrame fait par une main habile qui a plus d’ambition dans la volonté que de sentiment, et qui prend le fracas pour le signe de la force. Il n’y a pas dans tout le premier acte, qui est le meilleur, un seul morceau qu’on puisse louer sans réserve, et dont il soit facile de garder le souvenir. Je signalerai pourtant la chansonnette que chante Louis XI à table avec le refrain en trio qui en est la conclusion, et le chœur des archers écossais : Buvons au souvenir de la patrie, qui a de l’ampleur. Au second acte, qui est d’une longueur incommensurable, on remarque les couplets militaires de Leslie le Balafré, sorte de Marcel manqué, avec le refrain en quintette, d’un rhythme piquant, et la romance que chante l’ambassadeur de Bourgogne, comte de Crèvecœur, mélodie vague et pompeuse que M. Faure dit