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très bien l’orchestre et qui a un penchant décidé pour le pittoresque. C’était le cas ou jamais de réunir dans une belle préface symphonique quelques beaux effets d’instrumentation, comme l’ont su faire Weber, Méhul et tant d’autres. On remarque au premier acte, non pas le chœur de femmes qu’on chante dans la coulisse et qui n’a rien qui le distingue d’une foule de prières semblables, mais le chœur d’hommes qui accompagne l’air que chante l’amiral dom Salvador. La romance pour voix de ténor, par laquelle Lorenz exprime son amour :

Zora, je cède à ta puissance,


est agréable, mais d’une mélodie vague. Citons encore un joli trio en canon au milieu duquel se détache la ballade que chante Zora sur des arpèges voluptueux, dont les effets ne sont pas nouveaux, et puis le finale rempli d’incidens, et dont la conclusion :

Dieu garde le saint Raphaël !


a de l’ampleur. Au second acte, dont la scène se passe sur le pont d’un grand vaisseau, il y a beaucoup de musique, peut-être même y en a-t-il trop : des airs de danse, une rondena sous la forme d’un chœur en harmonie plaquée, dont l’auteur abuse, ainsi que de l’emploi de la pédale ; un beau duo entre Lorenz et Zora, qui s’avouent leur amour, et dont le dernier mouvement en majeur est plein d’animation ; puis le quatuor, avec accompagnement du chœur, qui commence le finale, et dont la stretta éclate au milieu d’une tempête furieuse et d’effets confus. Au troisième acte, on distingue le morceau symphonique que l’auteur intitule le Rêve des Matelots, qu’on voit endormis sous de vertes savanes, morceau de musique pittoresque qui est le fort et le faible de M. Félicien David, puis le joli gazouillement qu’on intitule le Chant du Mysoli, un autre duo entre Lorenz et Zora, qu’on a jugé à propos de supprimer, et le finale, dans lequel se trouve encadrée la ballade de Zora qu’on a déjà entendue au premier acte.

On ne saurait contester les qualités réelles et charmantes de la jolie partition que nous venons d’analyser. Pourquoi donc l’effet général qui en résulte à la représentation ne répond-il pas tout à fait à l’estime qu’on a pour le musicien ? C’est que le talent de M. Félicien David manque un peu de variété aussi bien dans le choix des idées mélodiques, qui ne s’élèvent pas au-dessus des régions tempérées de la grâce, que dans les procédés matériels qui servent à les manifester. Son aimable génie se complaît trop dans la rêverie, dans l’expression de certains sentimens qui ne sont ni le jour ni la nuit, et qui se balancent au clair de lune dans une harmonie constamment susurrante, qui finit par vous alourdir la paupière. Il y a trop de la, la, la dans son opéra, un abus de l’harmonie plaquée et de la pédale dont le bourdonnement continuel devient fatigant. Son instrumentation est d’ailleurs moins originale qu’on n’est disposé à le croire, et le tout laisse désirer un peu plus de vitalité. Quoi qu’il en soit, la Perle du Brésil est fort bien chantée par Mme Carvalho, dont la voix aigrelette fait merveille dans le rôle important de Zora, et par M. Michot, qui ne sait que faire d’une très belle