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LA POÉSIE GRECQUE DANS LES ÎLES-IONIENNES.

l’impiété, il ramasse les lauriers épars sur les dalles de l’église[1], les lance contre le crucifix et s’enfuit dans les champs couverts de ténèbres.

Toute cette pièce a un caractère dramatique véritablement saisissant. Les images se succèdent, rapides et lugubres, pareilles à ces morts chargés d’accomplir la vengeance du Très-Haut. Malheureusement on y retrouve, comme dans l’Hymne à la Liberté, des traces de l’éducation essentiellement italienne du poète. Fréquemment gêné par la rime, à laquelle le grec moderne ne se prête nullement, il est forcé de recourir aux chevilles et même d’intercaler des vers complètement inutiles. En outre, l’idiome employé par l’auteur est la langue populaire la moins relevée, presque le dialecte de Zante. Le comte Solomos ne connaissait point le grec ancien, qui aurait pu lui fournir tant de richesses ; il ne savait même le grec moderne que d’une façon très incomplète. Il pensait en italien, puis écrivait en grec. Obligé de se servir d’un instrument rebelle, il luttait contre des difficultés sans cesse renaissantes. On a plus d’une fois attribué à des tendances systématiques ce qui n’était chez lui que le résultat d’études insuffisantes. Jamais il n’a eu la pensée de fonder une école particulière. L’école ionienne n’existe donc que dans l’imagination de certains critiques. Profondément Grec par l’esprit et par le cœur, l’auteur de Lambros rappelle trop souvent que, sous la longue domination de Venise, le génie national avait perdu dans sa patrie un de ses caractères essentiels, la perfection de la forme. Chez Solomos, intelligence trop négligemment cultivée, l’improvisation est souvent supérieure à la poésie longuement méditée, le travail ne pouvant rien ajouter à sa première inspiration. Qui ne préférerait ses chansons, que les Ioniens répètent et rediront toujours, à son Ode sur la mort de lord Byron ?

Lorsque le poète de Zante termina prématurément une vie abrégée par de déplorables excès, le deuil de sa patrie trouva un digne interprète dans un enfant de Leucade (Santa-Maura), M. Aristote Valaoritis. Le poème intitulé Ἡ Δάφνη ϰαὶ τὸ Ἀηδόνι (Hê Daphnê kai to Aêdoni) (le Laurier et le Rossignol) révélait un successeur de Solomos.


LE LAURIER ET LE ROSSIGNOL[2].

« Ondes, noircissez votre écume, et vous, montagnes, vos neiges ; car l’hiver est venu, et le rossignol ne chante plus, le rossignol, qui habitait les

  1. Le jour de Pâques, dans l’église orientale, on sème le pavé du temple de rameaux de laurier, symbole de la victoire du Sauveur sur la mort.
  2. Le but de ce poème est de rendre l’impression produite sur l’esprit des Hellènes par l’Hymne à la Liberté du comte Solomos. Le rossignol, image du poète, fait entendre son chant, et ce chant vole à travers la Grèce pour redonner la vie aux combattans qui dorment dans le sépulcre.