Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/637

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui les distinguassent des Français portant la croix rouge. Les fantassins espagnols occupèrent les lieux les plus favorables pour repousser l’ennemi et pour jeter le désordre dans ses rangs par des décharges d’arquebuse. Ces troupes solides, que commandait l’expérimenté Prospero Colonna, que dirigeaient Pescara, Antonio de Leiva, venu de Pavie, et George Frondsberg, étaient de plus abritées derrière de grands fossés et placées sur des hauteurs dont l’artillerie défendait l’approche.

Les deux armées étant ainsi disposées, on se mit en mouvement d’un côté pour attaquer, de l’autre pour se défendre. Les Suisses en deux bandes distinctes, les hommes des petits cantons sous Arnold de Winckelried, les hommes des villes sous Albert de Stein, s’avancèrent avec leur bravoure accoutumée, sur cent de front et presque au pas de course, contre le camp des impériaux. L’artillerie des plates-formes les foudroya dès qu’ils approchèrent. Ils n’en marchèrent pas moins, sans que les files entières abattues au milieu d’eux par les boulets ralentissent leur intrépide rapidité. Ils espéraient, comme ils l’avaient fait à Novare et comme ils l’avaient tenté à Marignan, s’emparer des canons ennemis et tout renverser de leur choc. Ils arrivèrent ainsi jusqu’aux fossés du camp, et se heurtèrent contre des escarpemens trop élevés pour qu’ils pussent les escalader. Pendant qu’ils étaient arrêtés par ces rudes obstacles, les arquebusiers impériaux tuaient les principaux d’entre eux, qui, selon la coutume de leur vaillante nation, se plaçaient toujours au premier rang. C’est ainsi que périt Arnold de Winckelried, au moment où sa troupe, ayant gravi une partie du retranchement sans doute moins haute que les autres, se trouva en face des lansquenets de Frondsberg. Ceux-ci, fidèles à leur usage national, s’étaient mis à genoux avant de combattre, et lorsqu’ils s’étaient relevés à l’approche des Suisses, Frondsberg avait dit : « Que l’heure me soit propice ! — Tu mourras aujourd’hui de ma main, lui cria Arnold de Winckelried en le reconnaissant. — C’est toi, s’il plaît à Dieu, répondit Frondsberg, qui vas périr de la mienne. » Au même instant, l’intrépide chef des petits cantons, qui avait assisté à la plupart des batailles du siècle, tomba mortellement frappé. Il avait été atteint d’un coup de feu. Les Suisses ne pénétrèrent point dans le camp ennemi. Foudroyés par l’artillerie, arrêtés par les escarpemens, décimés par les arquebusiers espagnols, repoussés par les lansquenets allemands, ils se retirèrent après avoir perdu plus de trois mille des leurs.

L’attaque du pont par le maréchal de Foix avait été d’abord plus heureuse. Lescun, avec l’impétueuse cavalerie des ordonnances, s’était précipité par la route de Milan dans ce défilé étroit, avait culbuté ceux qui le gardaient, et s’était frayé un passage jusque dans le camp des impériaux ; mais l’intérieur, accidenté, inégal, boisé