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pour Ombrelle que le langage même employé par son nouvel adorateur. Elle devina cependant que le jeune homme essayait de s’excuser. Réduite aux faibles ressources d’une langue qui ne sait exprimer que les idées les plus simples, elle répondit aux protestations embarrassées de l’Européen par ces paroles naïves : « Je ne suis pas fâchée contre vous, et ce que j’ai entendu ne me déplaît pas. » Oswald, faute de savoir combien l’idiome turc se refuse à rendre les sentimens compliqués, accusa tout bas Ombrelle d’être plus jolie que spirituelle. Quoi qu’il en soit, les regards firent si bien des deux côtés, et les yeux d’Ombrelle dirent surtout des choses si charmantes, que le jeune homme n’eut garde de s’en rapporter à sa première impression. Il ne voulut quitter la belle esclave qu’après qu’elle lui eut permis de se trouver sur son chemin les jours où elle sortirait. Que signifiait cette promesse ? Fallait-il encore y voir une preuve d’excessive candeur ? Ce qui est certain, c’est qu’Ombrelle retourna au harem fort préoccupée, et n’attendit pas sans impatience le moment d’une prochaine sortie.

Les deux jeunes gens se virent plusieurs fois ainsi soit dans la boutique du parfumeur, soit chez quelque autre marchand du bazar ; mais, ces entrevues rapides et pour ainsi dire publiques ne pouvant leur suffire longtemps, ils convinrent de se rencontrer dans un lieu moins fréquenté, et Oswald proposa son propre logement. Ces sortes d’arrangement ne sont pas rares, dit-on, à Constantinople, où, toutes les femmes sortant voilées et vêtues de la même manière, il est impossible de les distinguer les unes des autres. Ombrelle, surveillée par ses esclaves, n’était pas toutefois sans inquiétude ; mais l’amour l’emporta sur la prudence, ainsi que cela arrive d’ordinaire, et elle se persuada qu’elle pouvait braver le danger, moyennant beaucoup d’adresse et de précaution. Bientôt par malheur elle négligea toute précaution et se passa de toute adresse ; elle se contenta de diminuer de plus en plus le nombre de ses suivantes et de ses eunuques, de choisir les unes et les autres parmi celles et ceux qu’elle considérait comme lui étant le plus dévoués, de faire à ceux-ci des contes et à celles-là des demi-confidences. Elle disait à ses esclaves de l’attendre dans un café, pendant qu’elle allait rendre visite à l’une de ses amies : elle allait en réalité dans la maison désignée, annonçait qu’elle y demeurerait plusieurs heures, et, sortant par une autre porte, elle allait retrouver son amant, puis revenait à l’endroit où ses gens l’attendaient. Toutes ces manœuvres ne trompaient personne, mais il faut rendre justice à tout le monde, ni la trahison, ni la délation ne sont choses communes dans les harems, où un certain esprit de corps porte toute la population des esclaves, de quelque classe et de quelque sexe qu’ils soient, à s’entr’aider et à se soutenir dans la louable entreprise de tromper le