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ces cellules n’est pas d’ailleurs toujours proportionné à celui des recluses, et l’isolement devient alors assez difficile. Zobeïdeh fut donc bientôt informée du résultat de sa criminelle tentative. Ce furent d’abord des exclamations bruyantes, puis des courses tumultueuses à travers les couloirs du harem. Bientôt des cris plaintifs dominèrent les autres bruits. Zobeïdeh appela une suivante, qui se rendit promptement à son appel. — Ada s’évanouit à chaque instant, elle a les dents serrées, elle a perdu la parole… Telles furent les informations qui décidèrent la Circassienne à quitter sa chambre d’un pas chancelant. Au moment où l’auteur du meurtre parut devant Ada, celle-ci avait déjà passé des convulsions à la morne stupeur qui est le signe certain de la mort. Maléka venait de faire appeler Osman-Bey, et Osman était auprès d’Ada. Les Turcs, il faut bien le dire, ne sont pas tendres. — Encore malade ? tels avaient été les premiers mots arrachés au bey par la triste nouvelle. Bientôt cependant il témoigna une vive sollicitude à la jeune victime. Il lui demanda si elle savait d’où venait son mal, si elle désirait quelque chose… — Ada ne put prononcer que des mots sans suite. Ce suprême interrogatoire provoqua toutefois quelques paroles, dont le bey, avec plus d’attention, aurait pu faire son profit. « Je vais mourir… parce que vous m’avez aimée… Elles mourront toutes comme moi… »

Une autre circonstance aurait pu éclairer le bey sur les causes et sur l’auteur même de la mort d’Ada. Zobeïdeh, tremblante et agitée, s’était approchée du lit de la malade. Elle avait, avec son habileté ordinaire, feint une profonde inquiétude ; puis, à un de ces rares momens où quelque élan généreux prenait le dessus, dans cette âme pervertie dès l’enfance, sur les instincts criminels, Zobeïdeh avait proposé de faire venir un médecin. Osman, sensible à cette marque de tendre sollicitude, avait remercié sa première femme et donné des ordres en conséquence ; mais le délire s’emparait déjà de la malade : à la vue de Zobeïdeh, il redoubla. Un rire nerveux contracta les lèvres d’Ada… — Sa chute ! elle est tombée à propos ! s’écria-t-elle en désignant Zobeïdeh. Aux questions d’Osman qui suivirent de près ces étranges paroles, la mourante ne put répondre. Son regard seul, en se fixant sur Zobeïdeh, compléta ce que ses lèvres crispées se refusaient à dire. Puis le râle souleva sa poitrine, et une teinte livide qui se répandit sur le visage annonça la fin de la terrible crise. Une dernière fois Ada essaya de parler ; elle ne put que lever le bras et le diriger vers Zobeïdeh. Ce bras, devenu bientôt immobile, désignait clairement la coupable. Zobeïdeh changea de place pour se soustraire à cette muette accusation, et toujours il lui semblait voir la main glacée se tourner vers elle. Ce n’était pourtant qu’un rêve de son imagination tourmentée. Ada était morte, et