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la pauvre fille, effrayée de son propre visage, ne l’eût fait prier de lui épargner cet honneur, qui, en toute autre circonstance, l’eût rendue aussi heureuse que fière. Cependant la fièvre, l’ardeur et l’enflure de la peau disparurent peu à peu, et la malade put quitter son lit. Son premier mouvement, après avoir recouvré ses forces, fut de courir à un miroir placé dans un cabinet voisin de sa chambre. À la place de son teint blanc et rose, quelle douloureuse surprise ! une pâleur uniforme, des yeux entourés d’un cercle bleuâtre, des lèvres aussi décolorées que le reste du visage !… Les traits mêmes avaient subi une étrange métamorphose ; toutefois ce dont la pauvre enfant était loin de se douter, c’est que ce changement était à son avantage. Elle avait eu jusque-là cette légère bouffissure qui accompagne d’ordinaire l’adolescence. Le contour de ses traits avait perdu ce charme juvénile, mais en revanche il était devenu plus pur et plus délicat. Son regard avait gagné en douceur ce qui lui manquait en vivacité ; ses lèvres, toutes pâles qu’elles étaient, n’avaient jamais dessiné de plus gracieux sourire. Tout en elle avait reçu un cachet de finesse et de distinction. Zobeïdeh, qui avait l’œil bon et le goût sûr, s’aperçut aussitôt du singulier résultat de ses efforts, et elle en éprouva une rage d’autant plus grande qu’elle ne savait à qui s’en prendre, car ce que la Grecque avait promis s’était réalisé : toute fraîcheur avait disparu de ce frais visage, et si la malicieuse fille avait trouvé moyen d’être plus jolie avec un visage fané qu’avec les couleurs d’Hébé, ce n’était ni sa faute à elle ni celle de la poudre blanche. Cependant, si Zobeïdeh était clairvoyante, sa rivale ne l’était guère. Elle se croyait réellement hideuse, et son désespoir était si grand qu’il fallut toute la vigueur de sa verte jeunesse pour l’empêcher d’y succomber. Restait à savoir quel serait sur ce point important l’avis du maître, dont les goûts peu raffinés semblaient de nature à rassurer Zobeïdeh.

Ici encore Zobeïdeh éprouva un douloureux mécompte : Osman fut frappé, mais non choqué de la pâleur d’Ada, et le désespoir de la pauvre enfant, qui s’attendait à le voir reculer d’horreur, le surprit d’une façon tout agréable pour son amour-propre. Osman-Bey n’était pas méchant : il eut pitié, — une tendre, une véritable pitié, — de cette douleur si naïve et si poignante, causée par la crainte de perdre son amour. Il comprit fort bien que la vanité n’y avait point de part, car Ada se refusait à toute consolation et ne cessait de répéter qu’il devait la repousser, la punir d’avoir si mal gardé ce qui lui était cher. C’étaient là des paroles qu’une femme habile se fût bien gardée de prononcer, et qui pourtant servirent mieux la favorite que ne l’eût fait l’habileté la plus consommée ; mais, lorsqu’elle fut parvenue à comprendre qu’Osman-Bey la maintenait dans le poste d’où elle s’était crue à tout jamais bannie, ce fut bien