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laideur ; mais la beauté ne couvre pas la sottise, ou, si elle la couvre ce n’est que pour un temps. Une femme ne doit jamais renoncer aux avantages qu’elle a une fois obtenus ; elle doit lutter sans cesse pour demeurer en possession de sa beauté d’abord, puis de son influence : si elle se résigne aujourd’hui à perdre le bout du doigt, on lui coupera le bras demain. — Ce sont là de très sages principes, comme on voit, et en effet la mère de Zobeïdeh était citée parmi ses parentes et ses amies comme un modèle de sagesse et de tendresse maternelle. — Quelle peine elle se donne, disait une voisine à une autre voisine, pour empêcher que la plante des pieds de sa fille ne durcisse ! — Savez-vous, disait une autre, ce qui la rend si triste ? Sa fille est enrouée depuis près de trois semaines, et elle craint que sa voix ne recouvre plus toute sa fraîcheur. Ce serait un bien grand malheur pour toute la famille ! — Espérons qu’il n’en sera rien, répondait-on ; cette excellente femme mérite assurément une récompense pour tout le mal qu’elle se donne. Ah ! il serait bien à désirer que toutes les mères lui ressemblassent !

Le fait est que Zobeïdeh était traitée comme une reine par ses parens. Sa mère la servait, et faisait ce qu’on appelle vulgairement les gros ouvrages de la maison : le spectacle de Zobeïdeh faisant la lessive, trayant les chèvres, allumant le feu, balayant le plancher, lui eût causé des attaques de nerfs. Zobeïdeh s’ennuya d’abord de cette vie monotone et sédentaire, et plus d’une fois elle envia sa sœur aînée, qui, infiniment moins belle, courait les champs et les montagnes, allait s’amuser aux fêtes des villages, suivait les troupeaux dans les prairies, et se promenait librement avec les jeunes filles et les jeunes garçons de son âge. Se promener de même avec un jeune et beau cousin, son aîné de quatre ans, ce fut, à une certaine époque, le but des vœux les plus ardens de Zobeïdeh ; mais jamais fille élevée dans un couvent, enfermée dans un cloître, surveillée par une ou plusieurs duègnes espagnoles, ne fut aussi bien gardée contre les amoureux et les amourettes que ne le fut Zobeïdeh dans sa hutte circassienne, ouverte à tous les vents et à tous les passans. Le penchant réciproque de Zobeïdeh et du cousin n’échappa point à cette mère vigilante, qui résolut de couper, comme on dit, le mal dans sa racine. Elle fit paraître le cousin et Zobeïdeh en sa présence. Ces pauvres jeunes gens accoururent en tremblant moitié de crainte et moitié d’espérance. Le cousin surtout interprétait favorablement cet appel ; son illusion fut courte. — Mes enfans, dit la bonne mère d’une voix très douce, j’ai cru m’apercevoir que vous éprouvez du plaisir à vous trouver ensemble. Me suis-je trompée, et si j’ai deviné juste, d’où vient ce plaisir ? Vous aimeriez-vous par hasard ?

Ainsi interpellés, les deux enfans murmurèrent un mot d’affirmation à peine intelligible, mais que la mère comprit à merveille. — Et