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complet, mais on peut l’évaluer au quart des précédens, ce qui porterait le total général à 575,875,000 francs. La plus grande partie a été payée soit en espèces, soit en denrées. L’autre partie est encore due, et ce sont les intérêts de cette dette que les États-Unis soldent par annuités.

Ces traités synallagmatiques entre contractans aussi inégaux ne témoignent-ils pas de l’esprit de justice qui dirige le plus puissant ? Et le plus faible n’a-t-il pas à se louer du généreux débiteur qui se charge en outre de la gestion du capital ? Le gouvernement protecteur porte encore plus loin sa sollicitude. Il surveille et dirige l’emploi des annuités. Au lieu de les déposer en espèces entre les mains des Indiens, qui se hâteraient de les échanger contre des liqueurs enivrantes ou d’autres superfluités pernicieuses, il en convertit une partie en denrées de première nécessité, et leur fournit du blé, du sel et des habits. Il leur fait distribuer des bestiaux et des instrumens d’agriculture. Il entretient au milieu d’eux des ouvriers instructeurs ; il ouvre des écoles et accorde des primes à ceux qui les fréquentent ; il encourage les missionnaires ; enfin il emploie toute espèce de moyens pour triompher de l’insouciance des Indiens. Il les traite à la vérité comme des mineurs, mais il agit ainsi dans leur intérêt, comme un tuteur intègre et dévoué qui ne retire des soins qu’il prodigue à ses pupilles que la satisfaction du devoir accompli.

Si, malgré tant de soins, la plupart des Indiens s’obstinent encore dans leurs habitudes héréditaires, si rien jusqu’ici n’a pu leur inspirer le goût du travail et de la prévoyance, si leurs relations avec les peuples civilisés leur sont depuis trois cents ans plus funestes qu’utiles, à quoi faut-il l’attribuer ? A-t-on troublé leur marche naturelle vers la civilisation en voulant les faire passer immédiatement du vagabondage de la chasse aux travaux sédentaires de l’agriculture ? Faut-il penser avec quelques philosophes américains que l’état pastoral est une phase indispensable de la vie des peuples, et que l’absence de cette période a nui au développement de la race indienne ? Peut-être cette opinion est-elle fondée. Rien n’est assurément plus propre que la vie pastorale à donner à une race pour ainsi dire neuve des habitudes d’ordre et de travail, et l’élève des troupeaux est tout au moins une excellente préparation à la culture des terres. Au reste, ces considérations ont eu pour résultat de fournir de nouveaux expédiens aux civilisateurs de la race indienne. Plusieurs tribus ont été pourvues d’animaux domestiques, elles ont d’immenses pâturages pour les nourrir et les faire prospérer, et les résultat déjà obtenus donnent un éclatant démenti à ceux qui prétendent que les indiens ne pourront jamais s’assujettir à la tranquillité et à la prévoyance des travaux agricoles.

Un riche propriétaire du territoire de l’Ohio, qui observe les Indiens avec l’attention la plus bienveillante, M. John Johnston, voudrait que les réformes leur fussent, non pas imposées, mais adroitement suggérées. D’après le plan qu’il a soumis au sénat de Washington, et qui n’est rien moins qu’un système complet de politique, il faudrait que, sans porter atteinte à leur indépendance jalouse, on les engageât à se choisir eux-mêmes, à la majorité des suffrages, un chef civil et militaire. Ce magistrat, une fois revêtu de cette autorité, ne pourrait plus en être dépouillé pendant un certain nombre d’années.