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Malgré cet instinct particulier à leur race, ils s’égarèrent. La nuit venue, il fallut bivouaquer au milieu des halliers, sur un sol qui ne s’élevait que de quelques pouces au-dessus du niveau des marais. Chacun se choisit un gîte de son mieux. Cependant un des deux Indiens, avant de s’endormir, prit une bande d’écorce de bouleau, et à la lueur d’un des feux allumés il se mit à y tracer des figures. Un caillou pointu lui servait de burin. Il fit très lestement un exposé symbolique de la situation où figuraient les seize personnes de la compagnie. Il distingua les Européens des Américains, les soldats de leur officier, les hommes d’armes des autres membres de la commission, sans négliger d’indiquer l’emploi particulier de chacun de ces derniers. Les voyageurs étaient divisés en deux groupes et rangés sur deux lignes parallèles. Les huit soldats avaient pour attribut distinctif des fusils à baïonnette. Un feu, placé à côté d’eux, signifiait qu’ils prenaient leurs repas séparément. Dans l’autre groupe, chaque individu portait son emblème particulier. L’officier tenait une épée, le secrétaire des tablettes ; un autre avait un marteau, comme géologue ou minéralogiste ; deux autres, désignés par une simple baguette, n’étaient que des auxiliaires subalternes. Enfin la nationalité des deux Indiens se reconnaissait à leurs têtes sans coiffures. Une poule de prairie et une tortue verte, représentées à côté d’un feu, signifiaient que dans le dernier repas ces deux pièces de gibier avaient été la seule nourriture de la caravane égarée. L’auteur de cette inscription la mit en place par un procédé aussi simple qu’ingénieux. Il prit un pieu de six ou sept pieds de haut, le fendit par un bout, et introduisit dans cette fente l’extrémité latérale de son écorce de bouleau. Enfin, comme pour achever de tout exprimer, il planta ce poteau dans le sol obliquement et avec une inclinaison bien prononcée vers le point de l’horizon où tendait l’expédition. Trois coches entaillées sur cette tige de bois, à l’endroit où finissait la fente, faisaient connaître que le voyage avait duré trois jours. Cette inscription devait apprendre la mésaventure de la commission à tout Indien que le hasard amènerait aux mêmes lieux.

Au mois de janvier de l’année 1849, quelques tribus riveraines du Lac-Supérieur, voyant que la chasse ne suffisait plus à les nourrir, sentirent la nécessité de s’adonner à l’agriculture. Elles reconnurent alors qu’elles s’étaient mises trop à l’étroit en vendant la plus grande partie de leurs terres au gouvernement de l’Union. En conséquence elles envoyèrent un message à Washington pour solliciter la rétrocession de ces terrains. Leur députation, composée de sept chefs, avait pour interprète un Anglais nommé Martell, qui ne manquait ni d’instruction ni de capacité pour bien plaider leur cause. Malgré ce secours, les pauvres Indiens crurent utile d’exprimer eux-mêmes leur requête avec des signes pictographiques. Ils tracèrent sur de grands carrés d’écorce de bouleau la configuration des terres qu’ils occupaient et de celles qu’ils redemandaient : Ces dessins étaient bien informes sans doute, et ne ressemblaient guère aux plans que dressent nos ingénieurs ; néanmoins, grâce au nombre de lacs et de cours d’eau qui traversent le pays, ils faisaient distinguer les régions diverses et en indiquaient la position, l’étendue et les limites. Les députés se désignèrent eux-mêmes par les écussons de leurs tribus. L’unanimité de leurs vœux était indiquée par un double symbole. C’étaient