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Ahriman était représenté sous la forme d’un serpent, Ormuzd par l’image d’un cercle, d’un globe ou d’un œuf, et pour marquer la prédominance du mal, la tradition rapporte que l’œuf a été percé par le serpent. Les Indiens d’Amérique ont connu ce mythe de temps immémorial, et l’on trouve vers les sources de l’Ohio la gigantesque figure d’un serpent perçant un œuf. Sur un mont qui s’élance dans les airs, comme une immense tour, du milieu d’un groupe de collines, on a simulé en relief, avec de larges terrassemens, les replis tortueux d’un serpent. Le reptile semble rouler lentement ses longues spirales vers le sommet. Il couvre une étendue de plus de mille pieds. La tête du monstre se confond avec la cime du pic, et ses mâchoires s’ouvrent avec effort, comme pour avaler une proie volumineuse. Dans l’ouverture de cette large gueule est placé un bloc de pierre taillé de forme oblongue, et représentant assez exactement la configuration d’un œuf.

Une autre croyance que les Indiens d’Amérique semblent avoir emportée avec eux du sud de l’Asie, c’est celle de la transmigration des âmes. Le nouvel associé que prend l’âme après sa séparation du corps n’appartient pas nécessairement à l’espèce humaine ; il peut être un quadrupède, un oiseau, un poisson. Les nombreuses fictions qui se sont groupées autour de cette croyance semblent laisser à l’homme expirant le choix de la nouvelle vie dont va jouir la meilleure partie de lui-même.

Cependant les Indiens croient aussi en des âmes d’une autre espèce, qui, après la mort, résident autour des cendres et sur les cercueils des défunts. De là leur coutume générale de faire des libations et des offrandes d’alimens aux ombres de leurs ancêtres. Pour conserver les dépouilles mortelles d’un chef de famille, ils les imbibent d’une essence huileuse qui les durcit et les pétrifie pour ainsi dire. Ils les enveloppent de longues bandelettes fabriquées avec l’écorce du bouleau. Ces langes, comparables pour la solidité et pour la souplesse à nos tissus de soie, sont entortillés avec symétrie autour du corps, depuis la tête jusqu’aux pieds. On vernit les nombreuses spirales de ce linceul avec une teinture plus luisante que le vermillon. Après avoir ainsi préparé et décoré la momie, on choisit pour la déposer, soit près d’une cataracte, soit dans une gorge de montagne, un de ces paysages où tout semble combiné pour inspirer la terreur religieuse et le sentiment de la Divinité. Des corps nombreux, tous décorés avec le même soin sont attachés de distance en distance à des troncs d’arbres ébranchés en signe de deuil. Aux jours de fête, la famille se dirige vers le hamac funèbre : l’un tient dans ses mains un gâteau pétri avec de la farine de maïs, un autre porte une calebasse remplie d’une liqueur fermentée, un troisième a mis dans un panier quelque espèce de fruit dont le défunt faisait ses délices. Tous ont la tête nue et sont revêtus de leurs habits les plus beaux. À une vingtaine de pas de l’arbre, ils s’arrêtent dans l’attitude du respect ; le plus ancien, s’avançant à pas mesurés, suspend successivement les offrandes. Celui qui manque volontairement à ses devoirs envers ses ancêtres est tenu pour un impie, et toutes les calamités qui fondent sur lui ou sa famille sont considérées comme de justes châtimens de son crime. Un Indien tombe-t-il dans un précipice, c’est l’âme négligée de quelque parent qui l’y a poussé. D’autres fois c’est sur sa femme ou sur son fils que retombe la vengeance