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ont légués, il ne semble pas aimer beaucoup le ton simple, naïf et populaire du véritable christianisme primitif ; il ne connaît guère le moyen âge, cette admirable source de poésie. L’esthétique de la nouvelle école catholique, à laquelle on ne peut contester quelque valeur, paraît avoir fait sur lui peu d’impression.

On vient de voir à quelles lourdes nécessités, inconnues aux anciens sages, M. Cousin a dû se soumettre. Non content d’être philosophe, il voulut être écrivain, homme politique, et pourtant je n’ai pas dit encore la plus pesante de ses chaînes : il voulut être chef d’école. Je ne connais pas de position plus délicate. Le philosophe isolé n’est responsable que de son propre salut, mais le chef d’école a charge d’âmes. Il faut qu’il prenne garde de scandaliser les petits qui le suivent : de là des précautions plus maternelles que philosophiques, mille scrupules, mille attentions pour les consciences tendres (les meilleures de toutes), dont il est le directeur spirituel. Que dire quand cette école est l’Université tout entière, quand on s’impose la tâche de tracer à des jeunes gens de vingt-deux ans ce qu’ils doivent enseigner à des enfans plus jeunes de quelques années sur Dieu, l’univers et l’esprit humain ! M. Cousin ne recula pas devant cette entreprise hardie. La création de l’enseignement philosophique en France est bien son fait, et certes ce n’est pas là une gloire médiocre : cet enseignement, quelque timide qu’il dût être, cultivait l’esprit des jeunes gens, les faisait réfléchir et était, après l’enseignement de l’histoire, celui qui portait les meilleurs fruits. À un autre point de vue d’ailleurs, l’école dont M. Cousin peut être appelé le chef a rendu à la science un service signalé, je veux dire en produisant un très bel ensemble de travaux sur l’histoire de la philosophie. Sans parler de quelques esprits d’élite qu’on range parfois dans cette école, mais auxquels ne peut s’appliquer le nom de disciples, l’éclectisme a produit une foule de caractères éminemment honnêtes et de très consciencieux travailleurs. Mais à côté de cela que de naïveté ! Combien de fois le maître a dû sourire de l’aplomb de jeunes disciples s’érigeant tout d’abord en gendarmes de la philosophie, et croyant tenir dans leurs rédactions de l’École normale la science universelle réduite aux proportions d’un manuel ! Ces inconvéniens sont inévitables : il n’est pas de développement, si distingué qu’il soit, qui, embrassé par des esprits ordinaires, ne dégénère forcément en pédantisme et en vulgarité.

Pour juger la philosophie de M. Cousin, il ne suffit donc pas de la prendre en elle-même, comme une construction scientifique : il faut la prendre dans l’application que M. Cousin a voulu en faire ; il faut rechercher si elle pouvait être plus complète, obligée quelle était de rester une philosophie d’école et de répondre à l’attaque de ceux pour qui sa timidité même était une hardiesse inouïe. Par là