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scientifique ne seraient guère plus grandes que celles auxquelles est sujette l’histoire de la philosophie et de la littérature grecques quand il s’agit d’époques un peu anciennes, si l’exégèse ne s’appliquait à des textes qui sont pour de grandes réunions d’hommes un objet de foi, d’où il résulte que, dans cet ordre de recherches, les thèses les plus désespérées continuent à avoir des défenseurs, et que les résultats les plus certains sont traités de paradoxes hardis, quand ils contrarient les opinions accréditées.

En somme, M. Cousin me semble, dans cette délicate question, accorder trop et trop peu : trop, car il concède à l’enseignement religieux une autorité qui, si elle était réelle, réduirait la philosophie au rôle de servante, comme on disait autrefois ; trop peu, car cette façon de s’incliner devant un dogme dont on fait abstraction dans la direction de sa propre pensée renferme une sorte d’indifférence et de sécheresse. Au fond, ceux-là témoignent peut-être plus de respect pour le christianisme, qui y reviennent sans cesse et en parlent plus sans doute que ne le voudrait la sagesse. S’ils s’en occupent, c’est qu’ils lui accordent une très grande place dans l’ensemble des choses humaines, et que peut-être ils l’aiment encore. L’éducation peu religieuse qu’ont reçue la plupart des hommes de la génération qui nous a précédés explique seule comment ils ont pu prendre à l’égard du christianisme une position aussi dégagée de tout lien antérieur. N’ayant connu le christianisme que tard et à un âge réfléchi, ils n’ont pas été bercés de ces belles croyances qui laissent dans l’âme un parfum de poésie et de moralité. Rien de moins fondé assurément que les reproches que le clergé s’est cru autorisé à adresser à M. Cousin : je ne connais point en France d’homme auquel l’église doive en réalité plus de reconnaissance. Quel est l’ecclésiastique qui eût su comme lui, au sortir de l’énorme abaissement où étaient tombées les idées religieuses vers le commencement de ce siècle, ressusciter le spiritualisme et remettre en honneur les mots sacrés qui semblaient bannis à jamais de l’enseignement de la philosophie ? Dans les mouvemens religieux qui ont suivi, ne l’a-t-on pas vu obéir docilement aux préférences de l’opinion et prêter un charme inattendu aux plus austères figures du catholicisme, à celles-là mêmes que les catholiques semblaient avoir oubliées ? Il faut avouer toutefois que c’est une position difficile que celle de catholique ; malgré l’église. Loin de nous toute pensée qui tendrait à jeter une ombre de doute sur la sincérité des mouvemens intérieurs d’une âme aussi spontanée dans ses entraînemens : il est bien permis de dire cependant que ce qui frappe dans le caractère général de l’œuvre de M. Cousin n’est pas ce qu’on entend d’ordinaire par le sentiment chrétien. Préoccupé surtout des grandeurs classiques et du type oratoire que l’antiquité et le XVIIe siècle nous