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tenant à la religion, on craint, même en voulant l’épurer, de travailler à l’affaiblir. Et pourtant l’esprit humain a des droits évidens dont la défense constitue, pour ceux que leur vocation appelle de ce côté, le plus sacré des devoirs. La timidité a raison à sa manière, mais non à ce point qu’on doive, pour lui complaire, entraver le progrès ; autrement il aurait fallu interdire aux prédicateurs du christianisme de toucher aux idoles, puisqu’en renversant ces antiques images auxquelles les idées religieuses étaient attachées depuis tant de générations, ils risquaient d’ébranler en même temps le sentiment qui s’y rapportait.

Personne dans cette lutte périlleuse n’a déployé plus d’habileté que M. Cousin. Son parti pris général est exposé avec beaucoup de clarté dans le remarquable morceau où il nous rend compte des réflexions qui se pressèrent dans son esprit durant la dernière nuit qu’il passa en Allemagne. Il accepta le christianisme dans sa forme la plus générale, évitant la discussion des détails, refusant de regarder de près, s’armant des noms classiques dont on s’est habitué à faire dans le sein du catholicisme une sorte de parti modéré. « Depuis le concile de Nicée, la doctrine chrétienne, solidement établie, marche et se développe avec une régularité parfaite, avec une grandeur et une clarté saisissantes ; mais auparavant quel enfantement laborieux et obscur ! que de ténèbres ! que de lacunes !… Renonçons donc une fois pour toutes à l’exégèse et à la théologie. Prenons le christianisme tel qu’il est sorti du concile de Nicée, avec le dogme arrêté et achevé de la Trinité ; acceptons ce dogme en lui-même, sans rechercher son histoire, sa formation, son origine… » Cela est judicieux et loyal, mais cela est-il vraiment philosophique ? Quand on accepte une religion qui se donne comme un fait historique, ne sont-ce pas au contraire les origines qui importent ? S’il y a un livre révélé de Dieu, ce livre vaut bien la peine qu’on cherche à l’entendre. Si Dieu a jamais parlé aux hommes, il est peu naturel de préférer au texte même de ses enseignemens des interprétations séparées du fait révélateur par un intervalle de quatre, cinq, ou même seize ou dix-sept siècles.

« Je n’ai pas encore rencontré, dit M. Cousin, deux théologiens qui s’accordent. Du haut de leur science hébraïque et orientale que je ne puis pas contrôler, tous s’attaquent, tous s’accusent des plus grandes erreurs. » Cela est vrai des théologiens proprement dits, mais ne saurait s’appliquer à ceux qui cherchent à faire, au point de vue rationaliste, l’histoire des textes réputés sacrés. Grâce aux progrès que la science de l’hébreu a faits depuis un demi-siècle, on comprend les monumens hébreux (sauf quelques passages qui, faute de rapprochemens suffisans, seront toujours des énigmes) à peu près comme on comprend Homère. Les incertitudes de l’exégèse