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Qu’y faire ? Est-ce notre faute si cette fière déesse exige de ses adorateurs un long noviciat d’œuvres serviles, si elle est comme le royaume des cieux, qui souffre violence, et que les violens seuls ravissent ?

La philosophie étant le centre et en quelque sorte la région commune où toutes les branches de la culture intellectuelle se réunissent, on y arrive par les voies les plus opposées. La littérature, la politique, les sciences physiques, les sciences historiques y mènent également, et produisent des façons très diverses, mais toutes incomplètes, de philosopher. M. Cousin étant, malgré la haute valeur de ses spéculations, plus particulièrement de la classe des philosophes littéraires et politiques, les personnes préoccupées surtout du côté scientifique doivent naturellement trouver chez lui quelques lacunes, lacunes qui s’expliquent du reste par l’éducation universitaire qu’il reçut. Le tour des études dans la vieille université était beaucoup plus littéraire que scientifique : on ne croyait pas qu’en dehors des carrières d’application les sciences physiques et mathématiques eussent quelque prix. C’est là une erreur aussi grave que celle des esprits étroits et jaloux qui plus récemment ont soutenu que les études littéraires ne pouvaient servir qu’à l’homme de lettres. Je voudrais, pour ma part, que les sciences physiques et mathématiques tinssent dans l’éducation une place pour le moins égale à celle que l’on accorde aux études littéraires. La seule tendance qui soit fatale en pareille matière, c’est l’esprit industriel et utilitaire, qui rabaisse également la science et la littérature, cet esprit qui a fait croire à quelques hommes médiocres qu’on pouvait élever les âmes et former les caractères en enseignant aux jeunes gens l’arpentage et les procédés de fabrication des bougies ou du savon. Quant aux études scientifiques purement spéculatives, elles contribuent au moins autant que les études littéraires à la culture intellectuelle, et peut-être, si elles entraient pour une plus grande part dans l’enseignement commun, corrigeraient-elles ce penchant fâcheux qui porte l’esprit français à s’occuper plus de la forme que du fond même des choses, et à préférer en tout l’appareil oratoire à la vérité.

C’est pour n’avoir pas assez compris le côté progressif et vivant de la science que la philosophie universitaire a si vite dégénéré en quelque chose d’aride, où l’on est réduit à se taire ou à se répéter. Si l’on envisage en effet la philosophie non comme une science qui serre son objet par des approximations successives, mais comme une scolastique pétrifiée, où toute espérance de découverte est interdite, que reste-t-il à faire ? Une seule chose : mettre en phrases plus ou moins bien tournées la doctrine qu’on suppose fixée une fois pour toutes. Qui ne voit que c’est là une besogne fastidieuse, à laquelle des esprits jeunes, vifs et sincères ne se résigneront jamais ? Aussi sur toute la ligne les sciences soit historiques, soit naturelles,