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jours. Celui qui était à cette époque le premier à tenter une traversée quelconque indiquait au retour la route qu’il avait suivie, la seule qu’il pût connaître ; le second suivait naturellement les traces du premier, et ainsi de suite, — de sorte qu’insensiblement cette route, que le hasard seul avait tracée, finissait par acquérir une autorité en quelque sorte absolue. Les instructions nautiques la recommandaient expressément, et si un capitaine s’en écartait, ce n’était qu’à ses risques et périls, c’est-à-dire qu’il s’exposait à être au retour congédié par son armateur, ou, en cas d’avarie, à se voir refuser toute indemnité par les compagnies d’assurance. On conçoit aisément tout ce qu’avaient de primitif de semblables routes, et combien peu elles étaient à la hauteur des divers perfectionnemens qui s’étaient introduits dans l’art nautique. En somme, on peut dire que la navigation était devenue un admirable instrument dont on ignorait la manière de se servir.

Ce n’est pas que nombre d’esprits ne sentissent vivement le vice radical de cet état de choses, mais il était la conséquence naturelle de l’ignorance des lois qui régissent le système des vents. En effet, pour que le navigateur pût déterminer en connaissance de cause la route la plus avantageuse d’un point à un autre, il lui fallait nécessairement connaître, pour tous les points de l’Océan situés dans les régions à parcourir, les proportions probables de vents favorables et contraires, afin d’éviter les seconds et de rechercher les premiers. De cette façon, ne se préoccupant que secondairement du surcroît de la distance, on eût été sûr de rencontrer, selon toutes probabilités, la plus grande somme possible de bons vents, et par suite de donner à la traversée son minimum de durée. Mais quelle expérience individuelle, si vaste qu’elle fût, pouvait prétendre à une telle universalité, et fournir, pour chaque point de l’immensité des mers, des renseignemens sur ces vents que l’esprit humain est depuis si longtemps habitué à prendre pour type du changement ?

Il faut le dire, on était à cet égard singulièrement en arrière. De temps immémorial, les observations météorologiques recueillies par un navire pendant sa traversée étaient, après le voyage, dispersées et perdues sans profit, ou ensevelies par les plus soigneux dans le poudreux oubli de quelque grenier. Ce sera la gloire du lieutenant Maury d’avoir mis un terme à cet état de choses, grâce à la réalisation d’une idée aussi simple que féconde. Coordonner les journaux des innombrables vaisseaux qui sillonnent incessamment les mers du globe dans toutes les directions ; restituer à ces observations éparses, et par ce seul fait inutiles, la valeur qui leur appartient dans l’ensemble ; conclure de là une méthode aussi certaine que facile pour déterminer la route qui doit réduire chaque traversée à son mini-