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tances, « publiées, remarque avec indignation l’Encyclopédie, sur un mauvais papier gris, encore trop bon pour elles. »

Si, des cartes sur lesquelles le navigateur d’il y a cent ans traçait sa route, nous passons aux moyens dont il disposait pour fixer sa position sur cette route, nous retrouverons la même imperfection, la même incertitude. C’est assurément un des plus beaux titres de gloire de l’esprit humain que d’être parvenu à connaître le point où se trouve un vaisseau isolé au milieu de l’Océan, sans autres moyens que ceux que lui fournit l’astronomie pour déterminer la latitude et la longitude de ce vaisseau ; mais beaucoup de personnes ignorent que de ces deux élémens également essentiels, le premier est d’une détermination infiniment plus facile que l’autre. Or, à l’époque dont nous parlons, on savait trouver sa latitude au moyen d’instrumens grossiers, il est vrai, mais à la rigueur suffisans : c’étaient ou des instrumens à suspension, incessamment dérangés par les mouvemens du navire, comme l’astrolabe et l’anneau astronomique, ou l’arbalète et le quartier anglais, que nous avons déjà nommés[1]. Quant à la longitude, nul moyen n’existait de la connaître à la mer[2] ; depuis que l’illustre Newton avait montré la solution du problème dans la construction de chronomètres suffisamment exacts, les esprits s’étaient avidement tournés de ce côté, et le parlement anglais avait même, par un acte de 1728, offert un prix de 20,000 livres sterling à qui parviendrait à donner, après une traversée de six semaines, une longitude exacte à un demi-degré près ; mais rien n’avait encore été trouvé, et le seul mode de navigation en usage consistait à mesurer, au moyen de la vitesse du sillage, la distance parcourue par le navire, en contrôlant cette mesure par la connaissance de la latitude. Dans un procédé aussi complètement approximatif et inexact, les erreurs s’accumulaient nécessairement d’un jour à l’autre, et atteignaient des chiffres qui semblent fabuleux aujourd’hui ; aussi n’était-il pas rare alors de voir un navire se trouver, à son insu,

  1. Ces instrumens étaient non-seulement inexacts, mais de plus singulièrement incommodes ; ainsi l’astrolabe était un cercle gradué suspendu verticalement entre les mains de l’observateur, et l’angle du diamètre horizontal avec le diamètre suivant lequel on visait l’astre donnait la hauteur de ce dernier, de sorte que le poids de l’instrument était une garantie de son exactitude, ou, en d’autres termes, qu’il était d’autant meilleur qu’il était moins maniable. Une astrolabe pesait de 6 à 7 kilogrammes ; un cercle à réflexion actuel pèse de 4 à 500 grammes. Quant à l’arbalète, jamais nom métaphorique ne fut mieux justifié par une forme et par des dimensions exagérées (1m, 1m30, et même plus) dont s’amuseraient fort nos marins d’aujourd’hui.
  2. La théorie de la lune eût pu, avant l’invention des chronomètres, fournir un moyen de déterminer les longitudes, et c’est même un des procédés en usage aujourd’hui ; mais les mouvemens de cet astre étaient alors si imparfaitement connus, que bien plus tard Bouguer (dans son édition de 1792, revue par Lacaille et Lalande) dit que l’on ne doit pas se flatter de pouvoir ainsi déterminer sa longitude à plus de deux ou trois degrés près.