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à Mahomet II et à la conquête de Constantinople. C’est lui qui, par un hatti-chérif « que les Grecs regardent aujourd’hui comme leur charte et dont les Turcs se plaignent avec plus de dépit que de raison, institua le patriarche chef de la nation grecque, président du saint-synode et juge suprême de toutes les affaires civiles. Il l’exempta de l’impôt du karadj, aussi bien que les membres du saint-synode, lequel, composé de douze métropolitains, fut destiné à former le grand conseil de la nation. Le patriarche et les métropolitains furent autorisés à exiger une contribution annuelle de chaque prêtre et de chaque famille. Les officiers et les magistrats de l’empire reçurent l’ordre de faire exécuter les sentences du clergé et de l’assister dans le recouvrement de ses revenus. Tous les avantages de cette charte sont évidemment pour le clergé. Ses droits et ses priviléges y sont déterminés et garantis ; le peuple n’y est mentionné que pour servir et payer, et cependant il s’y est attaché parce qu’elle lui donne une sorte de gouvernement national et le dispense, dans beaucoup de cas, de tout contact avec l’administration turque[1]. »

En donnant à l’église grecque une sorte d’indépendance, Mahomet II agissait-il par esprit de bienveillance et d’équité ? On peut le croire ; on peut croire aussi qu’il agissait par politique. Il connaissait les sentimens des Grecs et l’attachement qu’ils avaient pour leur église ; il savait qu’ils avaient mieux aimé renoncer aux secours qu’ils attendaient de l’Occident que d’accepter l’union des deux églises proclamée dans le concile de Florence ; il savait enfin que les moines de Constantinople avaient prêché tout haut qu’il valait mieux obéir au turban qu’à la tiare. En favorisant l’église grecque, Mahomet II se conciliait la faveur de ses nouveaux sujets ; il les confirmait dans leur répugnance contre l’Occident ; il assurait sa conquête non-seulement à Constantinople, mais dans toute la péninsule grecque. Il savait bien qu’il n’avait rien à craindre de l’indépendance qu’il laissait à l’église grecque, car cette indépendance n’avait de garantie que sa parole et le respect que ses successeurs auraient pour cette parole. Aussi l’église grecque, quoique ayant servi à conserver la nationalité grecque, a vu peu à peu diminuer son indépendance. Ses dignitaires, ruinés par les exactions des Turcs, déposés au moindre soupçon, livrés à toutes les misères de la servitude, opprimés par en haut, oppresseurs forcés par en bas et faisant retomber sur leurs coreligionnaires toutes les avanies qu’ils enduraient, ses dignitaires avaient gardé peu de puissance et peu de liberté. Cependant cette organisation pouvait redevenir indépendante ; elle pouvait offrir aux Grecs sujets du sultan quelques garanties ; la protection de l’Europe

  1. Henri Mathieu, la Turquie et ses différens peuples, t. II, p. 104.