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formelle, mais il ajouta que le sentiment qui l’avait inspirée en était l’excuse.

Quelques semaines auparavant, le maréchal avait combattu à la tribune de la chambre des pairs, avec une énergie que ne montrèrent pas à cette époque tous les libéraux, la loi qui suspendait la liberté individuelle. Évidemment il prenait alors au sérieux le régime parlementaire, dont il parle si dédaigneusement dans ses Mémoires. Autant qu’on peut l’entrevoir, il se flatta de l’espérance d’y jouer un rôle important. Son amour-propre lui persuada même pendant quelques mois qu’il dirigeait les votes de la chambre haute au moyen de je ne sais quelle tactique assez puérile qu’il expose un peu naïvement, et qui, suivant lui, perdit toute sa puissance dès qu’on en eut pénétré le secret.

Il s’attacha au ministère de M. de Richelieu et de M. Decazes, qui, après de vains efforts pour calmer et contenir le parti ultra-royaliste, avait eu le courage d’accepter franchement la guerre déclarée par ce parti à la politique de modération et de conciliation. Il fut à la tribune un des défenseurs de la loi électorale du 5 février 1817, dont le vote assura pour quelque temps le triomphe de cette politique, en préparant, il est vrai, de nouveaux orages pour un avenir peu éloigné. Bientôt après il appuya, comme rapporteur, une autre loi qui, sans rétablir encore la liberté individuelle, apportait pourtant de très grands adoucissemens à celle qui, l’année précédente, en avait suspendu la jouissance, et faisait prévoir qu’elle serait bientôt rendue à la France. Dans la discussion de la loi des finances, il attaqua très vivement le ministre de la guerre, le duc de Feltre, qui avait de beaucoup dépassé les allocations de son budget, et que la gauche poursuivait de ses agressions parce qu’il avait été l’un des chefs de la réaction de 1815. Le discours du duc de Raguse parut excessif, et il manqua son but parce qu’on le crut inspiré par le désir de remplacer un ministre dont il était dès lors facile de prévoir la chute prochaine.

C’était là en effet, à ce qu’il paraît, la grande ambition du maréchal. Elle était, de sa part, très naturelle, mais des circonstances de diverse nature mettaient à l’accomplissement de ce vœu des obstacles dont il ne se rendait pas compte. Si, comme le maréchal Victor, comme M. de Bourmont, il se fut rallié à l’opinion ultra-royaliste, son incontestable capacité lui aurait sans doute donné des titres pour obtenir le portefeuille qu’il convoitait dans quelqu’un des cabinets formés par la droite; mais il s’était enlevé à lui-même toute chance de ce côté en votant et en parlant d’ordinaire avec les modérés, presque avec les libéraux, et lorsque ces derniers prenaient le dessus, lorsque la gauche, composée en grande partie d’anciens bonapartistes, approchait du pouvoir, ce n’était pas à l’auteur de la défec-