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que les soldats et les officiers secondaires qu’on n’avait pas mis dans le secret s’étaient révoltés contre leurs chefs dès qu’ils avaient compris, en arrivant à Versailles, quel était le but de cette marche, il courut à eux, brava leurs emportemens, les calma par sa présence d’esprit, les dirigea vers les départemens de la Normandie, et, cédant à la nécessité pour prévenir de plus grands malheurs, assura ainsi l’accomplissement d’une défection qu’il avait pourtant déplorée parce qu’il la jugeait prématurée.

Tel est l’exact résumé des moyens justificatifs allégués par le maréchal. C’est en s’appuyant sur cet exposé qu’il n’hésite pas, dans un aveuglement bien étrange, à présenter sa conduite comme un modèle de fidélité et de dévouement, et qu’il se montre lui-même comme une victime des injustices de l’opinion, qui aurait méconnu sa loyauté en même temps qu’elle prodiguait au prince Eugène et à d’autres, coupables suivant lui de trahison, des éloges immérités. Il m’est absolument impossible, je ne dis pas d’adhérer à cette argumentation, mais de la comprendre. Le récit du duc de Raguse ne me paraît modifier en aucun point essentiel ce que le public avait su, ce qu’il avait cru dès le premier moment sur cette triste affaire. Qu’importe que son traité avec le prince de Schwarzenberg n’ait été signé qu’après l’abdication, si les engagemens qu’il consacrait étaient arrêtés alors que le maréchal croyait Napoléon résolu encore à défendre sa couronne, et ignorait qu’il eût été déjà contraint d’abdiquer? S’il a suspendu l’exécution de ces engagemens pendant la durée de la négociation à laquelle il prenait part, cela ne voulait-il pas dire qu’ils reprendraient toute leur force dans le cas où la négociation viendrait à échouer? Si ses généraux divisionnaires, sans tenir compte de cette suspension, ont consommé précipitamment la défection au lieu d’attendre l’ordre définitif qu’il devait leur donner, n’était-ce pas lui qui les avait placés sur la pente fatale où ils n’ont pas su se tenir en équilibre aussi longtemps que cela aurait convenu à ses calculs? La précipitation avec laquelle ils ont agi n’était-elle pas une conséquence presque forcée de la fausse position où il les avait mis? L’indignation qu’il témoigne de ce qui lui paraît de leur part une désobéissance criminelle est un trait caractéristique. Elle prouve une fois de plus combien les esprits les moins naïfs par nature le deviennent quelquefois lorsqu’ils sont absorbés par un sentiment de personnalité qui ne leur permet de rien voir au-delà de ce qui les touche : lui qui venait d’abandonner son souverain pour traiter avec l’ennemi, il ne trouve pas de paroles assez sévères pour ses propres subordonnés, qui, dans un moment de trouble, n’ont pas exécuté à la lettre les ordres qu’il leur a donnés.

Je dirai toute ma pensée sur les motifs qui entraînèrent la réso[lution-