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parition en Espagne avait été pour le cabinet de Vienne le signal d’une levée de boucliers qui avait fait chanceler la fortune de la France impériale, il ne voulut pas, en s’éloignant de nouveau, risquer une seconde épreuve, d’autant plus dangereuse que, depuis cette époque, les rapports d’amitié où il était avec la Russie s’étaient beaucoup altérés. Ne voulant pas non plus abandonner l’Espagne, parce qu’il était dans une de ces situations extrêmes où l’on peut croire que le premier pas rétrograde est le principe de la ruine, il poursuivit, par la main de son frère et de ses généraux, une expédition que lui seul pouvait conduire à bonne fin, et comme il sentait bien qu’ainsi conduite elle ne pouvait guère réussir, il ne tarda pas à prendre les affaires d’Espagne dans une sorte de dégoût. Il cessa presque de s’en occuper autrement que pour adresser au roi Joseph et aux commandans des divers corps d’armée des ordres souvent contradictoires et impraticables, des réprimandes presque toujours injustes et mal fondées, ne répondant rien à leurs objections et à leurs justifications, précisément parce que la plupart du temps elles étaient péremptoires, leur refusant les secours en hommes et en argent dont ils avaient le besoin le plus impérieux, et, pour se donner le droit de les blâmer, pour se justifier lui-même à ses propres yeux, affectant de croire qu’ils ne manquaient de rien, puis finissant, lorsque les approches de la rupture avec la Russie vinrent absorber sa pensée, par abandonner au major-général Berthier et au duc de Feltre, ministre de la guerre, deux instrumens plus ou moins habiles, mais dépourvus de génie et d’initiative, le soin de diriger de Paris une guerre dont le succès était désormais impossible.

Je ne veux certes pas diminuer la juste gloire du duc de Wellington. Il a fait de grandes choses en Portugal et en Espagne. A certains momens, il a osé espérer la victoire alors que tout le monde, en Angleterre même, la regardait comme impossible en présence des armées françaises jusqu’alors victorieuses; il a bravé les chances d’une lutte dont le mauvais succès eût appelé sur le ministère anglais et sur lui-même une terrible responsabilité. Peut-être est-ce là, dans toute sa carrière, ce que j’admire le plus, parce qu’il lui a fallu, pour prendre et soutenir une telle résolution, une prévoyance, une sûreté de jugement, une force d’âme qui constituent essentiellement, au moins dans un certain sens, la grandeur morale. Avec des élémens plus que médiocres, il a su créer une des meilleures, des plus solides armées qui aient jamais existé, et triompher, à force de persévérance et de ténacité, des obstacles que lui opposèrent dans les premiers temps la jalousie, les défiances, les lenteurs, l’incapacité de ses alliés espagnols. N’oublions pas néanmoins, en lui tenant compte des difficultés qu’il avait à surmonter, de faire remarquer que, chef unique des armées anglaise et portugaise et plus