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la liberté (la France ne l’avait pas connue pendant la révolution, sauf tout au plus quelques jours de 1789), mais d’une tyrannie plus dure encore et surtout plus humiliante qu’aucune autre, parce qu’elle était exercée par le plus abject des gouvernemens, par le directoire.

Quoi qu’il en soit, je le répète, en 1810 ce charme commençait à se dissiper, cette force morale commençait à s’épuiser comme toutes les forces dont on abuse. En voyant l’impuissance de Napoléon à triompher, malgré ses plus odieuses violences, de la résistance morale du chef de l’église, ses plus habiles généraux s’épuisant en vains efforts pour dompter l’insurrection espagnole et portugaise soutenue par les Anglais, l’empereur de Russie déjà prêt à se détacher d’une alliance que les exigences de l’empereur des Français lui rendaient trop pesante, et se préparant à une lutte inévitable pour quiconque ne voulait pas subir l’esclavage universel, les esprits clairvoyans se demandaient si l’heure de la délivrance n’allait pas sonner. Dès cette époque, on voit, par la correspondance de lord Wellington avec son gouvernement, que, relégué lui-même avec son armée au fond du Portugal, où il avait peine à se maintenir, il ne désespérait pas de la chute prochaine de Napoléon. Il était évident en effet que l’empire français, avec ses proportions gigantesques, ses élémens hétérogènes, ses bases mal affermies, la haine, la jalousie universelles qu’il inspirait, ne pouvait se soutenir que par une suite non interrompue de succès, et que le premier revers, la première hésitation un peu prolongée de la fortune, qui l’avait jusqu’alors si extraordinairement favorisé, serait contre lui le signal d’un soulèvement européen. C’était là ce qu’espérait lord Wellington, ce que redoutaient les partisans éclairés de Napoléon, ce qu’aucun peut-être n’osait encore lui dire à lui-même, mais ce que quelques-uns, comme le duc Decrès, murmuraient déjà hors de sa présence. Marmont lui-même, si surpris d’abord du langage de ce ministre, fut bientôt amené par les événemens à comprendre la gravité d’une situation que de brillans dehors et l’entraînement de sa prospérité personnelle lui avaient jusqu’alors dissimulée.


II.

L’empereur confia, en 1811, au nouveau maréchal le commandement de l’armée qui, sous les ordres de Masséna, venait d’échouer dans la tentative de reconquérir le Portugal. C’était la première fois que le duc de Raguse se trouvait appelé à un commandement de cette importance. La tâche qu’on lui imposait était grande et difficile. Il s’agissait de réparer un échec qui avait porté un rude coup au prestige des armes françaises, parce que, à l’exception de lord Welling-