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tribuer formellement l’honneur du succès de la merveilleuse campagne de Marengo et d’autres expéditions dans lesquelles il ne joua qu’un rôle subordonné, il ne néglige rien pour nous faire entendre que c’est à lui qu’on le doit. L’idée qu’il s’arrange toujours pour laisser à son lecteur, idée peut-être sincère de sa part, car l’amour-propre est la source des plus prodigieuses illusions, c’est que les généraux en chef auxquels il s’est trouvé subordonné, sans en excepter Napoléon lui-même, n’ont guère réussi qu’en suivant ses conseils, de même qu’en d’autres occasions ils n’ont échoué que pour les avoir négligés.

Dans cette disposition d’esprit, Marmont, au moment de la création de l’empire, fut très vivement blessé de ne pas se trouver compris dans la première promotion des maréchaux. Il n’avait pourtant que trente ans, et, je le répète, il n’avait jamais commandé en chef devant l’ennemi. La plupart des nouveaux maréchaux s’étaient distingués par des faits d’armes auxquels leurs noms sont restés attachés. Les plus jeunes avaient au moins trente-cinq ans. Cependant il en était quelques-uns qui en effet n’avaient sur Marmont que la supériorité de l’âge, dont les services n’étaient pas plus éclatans que les siens, à qui il avait le droit de se croire supérieur par le savoir et l’intelligence, et qui ne devaient la préférence dont ils étaient l’objet qu’à la faveur ou à des circonstances accidentelles. Par une espèce de compensation, il est vrai, on comptait dans les rangs de l’armée des généraux illustrés par leurs talens et leurs exploits, que tout semblait désigner pour les suprêmes honneurs militaires, et qui cependant n’y étaient pas appelés, parce qu’ils n’avaient pas su obtenir la bienveillance du maître. En réfléchissant à leur situation, Marmont aurait pu éprouver quelque embarras à se plaindre de n’être pas élevé au-dessus d’eux; mais sa pensée ne s’arrêta que sur ceux qui étaient mieux traités que lui, et à qui il pouvait se croire supérieur à quelques égards. Il se regarda comme sacrifié, comme humilié, et Napoléon ne réussit à le calmer que par un compliment qui flatta son amour-propre aux dépens d’un des nouveaux maréchaux. Si un amour-propre excessif rend les hommes exigeans et susceptibles, il donne aussi de grandes facilités pour les calmer et les amadouer avec un peu d’adresse.

La guerre continentale, interrompue en 1801, recommença en 1805. Marmont, chargé cette fois du commandement d’un des corps de la grande armée, fit la campagne d’Austerlitz, sans assister pourtant à cette bataille; puis l’empereur lui conféra, avec des pouvoirs très étendus, le gouvernement des provinces nouvellement conquises de l’Illyrie. Il y passa quatre années sans revenir à Paris, et même sans prendre part à la campagne de Prusse, apogée de la gloire et de la puissance militaire de Napoléon, ni à celle de Pologne, dans