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pour y trouver, suivant l’occasion, soit un moyen de succès dans ses entreprises, soit une distraction dans ses loisirs. Le talent d’écrire ne lui manquait pas, et ses ouvrages prouvent qu’à défaut de la correction du style et de cet art achevé de la composition qu’on acquiert si rarement sans un travail assidu, il savait du moins exprimer ses idées avec une lucidité facile et agréable.

Avec de tels avantages, favorisé par un concours de circonstances qui le fit arriver, dans une grande jeunesse, aux emplois les plus élevés et les plus brillans, les mieux faits pour donner à un homme les occasions de se développer tout entier, Marmont cependant n’a pu atteindre le degré d’importance, d’influence morale, la consistance en un mot qu’ont obtenue plusieurs de ses compagnons d’armes moins bien doués peut-être, certainement moins éclairés, et à qui les conjonctures s’étaient d’abord montrées moins favorables. Il n’a pourtant rien négligé de ce qui pouvait l’aider à compléter sa destinée, il y a travaillé avec ardeur. Pourquoi n’y a-t-il pas réussi? Faut-il voir dans ce résultat négatif un de ces caprices du sort qui, suivant l’opinion souvent exprimée dans ses Mémoires, ont une si grande part à la direction des événemens? N’est-ce pas plutôt en lui-même qu’il convient de chercher la cause première de ses revers et de ses mécomptes? Il me semble difficile de ne pas s’arrêter à cette dernière explication après avoir suivi, dans les récits du maréchal, les incidens variés de sa longue carrière.


I.

Le duc de Raguse était avant tout un homme de beaucoup d’esprit, c’est-à-dire que, saisissant facilement et vivement les rapports des choses, il savait les considérer sous leurs aspects divers et traduire dans une forme séduisante l’impression qu’il en recevait. Cette faculté est si brillante, elle procure de telles jouissances à celui qui la possède et même à ceux qu’il favorise de ses entretiens, qu’on est très naturellement porté à en exagérer la valeur. Il est certain pourtant que, dans la conduite des affaires, lorsqu’elle n’est pas unie, comme chez les vrais grands hommes, à d’autres facultés plus solides, plus sérieuses, qu’elle n’exclut pas sans doute, mais qui ne se concilient avec elle que dans les natures parfaitement organisées, elle égare plutôt qu’elle ne dirige utilement. Il faut en effet une grande force de raison, une rare énergie de caractère pour soutenir, sans être ébloui et entraîné, la lutte à laquelle un esprit fin, vif et pénétrant est nécessairement livré par la foule des pensées, des opinions, des points de vue que la réflexion ne cesse de lui suggérer. Tandis que les intelligences droites, simples et même, si l’on veut, un peu lentes, guidées par l’instinct du bon sens vers les idées et les