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de douleur que ses compagnons ne purent retenir leurs larmes.

— Ah ! malheureuse Julia, dit-il, pourquoi t’ai-je quittée ? Ne devais-je pas veiller sur toi toute ma vie et te faire un rempart de mon corps ? Hélas ! le coup qui t’a frappé sera pour moi un remords éternel. Ô malheureuse amie ! pourquoi m’as-tu trahi ?

À ce mot, elle reprit ses sens.

— Cher Paul, dit-elle, j’ai toujours été fidèle à notre amour.

Il tourna les yeux sur l’Anglais.

— Je n’ai aimé, dit-elle, et n’aimerai jamais que toi. Je sens bien, ajouta-t-elle avec un sourire désespéré, que je n’ai pas de grands efforts à faire pour te demeurer fidèle à l’avenir. La vie me quitte. Mourir si jeune, ah ! Dieu !

Acacia était dévoré de remords. À ce moment suprême, il comprit qu’elle disait la vérité, et il eut horreur de lui-même. Il se reprocha cruellement son égoïsme et son inconstance. Il maudissait l’Anglais et Appleton, et Craig, et lui-même. Il pleurait, il criait, il demandait pardon à Julia, qui ne l’entendait plus. Lewis n’était guère plus calme. Jeremiah, qui seul avait conservé quelque sang-froid, sentit qu’il fallait agir et transporter Julia à Oaksburgh.

— Deborah prendra soin d’elle, dit-il à son ami.

On la porta dans la voiture après avoir bandé sa blessure à la hâte, et l’on reprit le chemin de la ville.


XII. — MORT DE JULIA.


Le triste cortège entra dans Oaksburgh au coucher du soleil, et se dirigea vers la maison de Jeremiah Andersen. Déjà l’opinion publique se prononçait en faveur d’Acacia. Le défi qu’il portait à Craig avait produit le meilleur effet dans un pays où les querelles se vident plus souvent à coups de carabine que devant les tribunaux. On se promettait un spectacle intéressant, et l’on ne se trompait pas. Le bon Carlino, par ses intrigues et celles de ses amis, avait en quelques heures obtenu des résultats merveilleux.

Deborah reçut l’infortunée Julia dans sa propre chambre. Bien qu’elle eût pas ses grades aux États-Unis, elle ne manquait pas de science médicale, et à coup sûr elle valait bien la plupart de ses confrères d’Oaksburgh et des environs. L’austère méthodiste avait pensé se faire un cas de conscience de recevoir une catholique sous son toit ; mais la pâleur de Julia, le sang qu’elle perdait, la douleur du lingot et, plus que tout peut-être, les instances de Jeremiah la décidèrent à traiter miss Alvarez comme une enfant d’Israël, quoiqu’elle ne fût, à vrai dire, qu’une simple Madianite. Lucy, plus tendre et plus compatissante, se sentit profondément émue en voyant son