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propos ! ce malheur n’était fait que pour elle. Pour la première fois, elle regretta que Lewis n’eût pas la vivacité du lingot. — Ce n’est pas Acacia, pensait-elle, qui s’embourberait dans son discours comme une charrette dans une ornière profonde. Ah ! les gens extravagans ont quelquefois du bon !

Il fallut se contenter de ce tronçon de discours, Lewis n’était pas homme à retrancher une syllabe de ce qu’il avait résolu de dire. Son texte était prêt, ses citations des pères étaient alignées et allaient défiler en colonne serrée, sa péroraison devait résumer la harangue et en donner la morale. Pour un évêché, il n’eût pas laissé échapper cette magnifique occasion d’édifier son prochain. Si l’on s’étonne qu’il pût avoir la pensée de dire clairement une chose aussi offensante et aussi mortifiante, je répondrai qu’il était Anglais, plein de confiance dans sa sagesse et dans son éloquence, qu’il était ministre du Seigneur, et, à ce titre, habitué aux sermons et aux controverses. Le mariage lui paraissait une affaire de controverse, et il eût controversé, cité, commenté, ratiociné jusqu’au jugement dernier, pour peu qu’il eût trouvé des contradicteurs.

Le naturel de Deborah n’était guère moins porté aux longs discours ; mais elle était fille, ennuyée de l’être et impatiente d’en finir avec le célibat : de plus, le cas était pressant, elle sentait bien qu’il ne fallait pas laisser échapper le swedenborgien. Quand elle vit qu’il partait avec Jeremiah, elle lui serra la main d’une façon expressive, et lui dit :

— John Lewis, partout où vous irez, souvenez-vous de moi.

— Partout et toute ma vie, dit-il avec émotion.

— Revenez dès que les temps seront plus doux, ajouta-t-elle.

— Lewis, dit Jeremiah, tous ces adieux sont pathétiques ; mais, si vous tardez plus longtemps, vous serez goudronné.

Tous deux descendirent, et trouvèrent Acacia au parloir avec l’abbé Carlino Bodini et un Irlandais. L’abbé venait d’entrer.

— Miss Alvarez est retrouvée ! cria-t-il dès la porte.

— Miss Alvarez était perdue ! dit l’Anglais, qui ignorait tous les événemens de la veille.

Anderson l’instruisit de la disparition de Julia. Acacia se jeta dans les bras du bon Carlino.

— Quoi ! elle est revenue ! dit-il. Où est-elle ? l’avez-vous vue ?

— Hélas ! non, répondit l’abbé ; mais voici quelqu’un qui vous en donnera des nouvelles. Approche ici, drôle !

À ces mots, Jack se présenta : c’était l’Irlandais que Craig avait menacé de mort ; il raconta tous les détails de l’enlèvement.

— Comment sais-tu cela ? dit Acacia.

— Le drôle y était, dit l’abbé. Après l’affaire, il a senti quelques