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Acacia se sentit ému.

— Ah ! si miss Lucy ne m’avait pas ordonné de vous sauver la vie, avec quel plaisir je vous verrais griller tout vif !

— Messieurs, dit-il en reparaissant à la fenêtre, vous le voyez, John Lewis est un brave homme à qui le désir du martyre a brouillé la cervelle. Soyez plus sages que lui, et laissez-le passer tranquillement. Je donne ma parole qu’il sortira du Kentucky dans deux jours.

— Non, point de grâce pour le scélérat, dit une voix.

— Messieurs, reprit Acacia, Lewis est mon hôte. Je suis forcé de le défendre, et si quelqu’un l’attaque, je lui briderai la cervelle. Une dernière fois, engagez-vous votre parole, comme de braves et loyaux Kentuckiens, que vous le respecterez ?

— Non ! non ! crièrent quelques-uns des amis de Craig.

Cependant le plaidoyer d’Acacia faisait quelque effet sur la foule.

On admirait son courage et sa générosité : on l’eût admiré bien davantage, si l’on avait su qu’il croyait sauver son rival. Acacia vit que le moment était décisif. Il prit le petit baril des mains de l’Anglais, lit un trou avec la vrille et y planta un morceau de bougie allumée. Douze cents têtes le regardaient avec inquiétude et curiosité.

— Ce petit baril, dit-il, contient vingt livres de poudre. Je vais y mettre le feu et le jeter dans la rue. Que tous les braves et généreux Kentuckiens se retirent !

En même temps, il lança le baril. L’effet de cette menace fut prodigieux : en un clin d’œil, tout le monde disparut.

— Sortons, dit Acacia.

L’Anglais le suivit, et tous deux, par des chemins détournés, gagnèrent la maison de Jeremiah.

— C’est un très bon tour, dit Anderson ; mais tu risquais de nous faire sauter en l’air comme des éclats d’obus.

Acacia se mit à rire.

— Est-ce que tu crois au baril de poudre ? dit-il. C’est un gallon de rhum que j’ai jeté sur les braves gens d’Oaksburgh. La peur grossit et défigure les objets.

Jeremiah fit atteler sur-le-champ une voiture.

— Partez vite, dit Acacia, et attendez-moi de l’autre côté de l’Ohio, à Indianapolis.

L’Anglais voulut le remercier.

— Remerciez miss Lucy, dit un peu sèchement le lingot, qui n’oubliait pas ses griefs contre le swedenborgien.

Lucy devina la jalousie d’Acacia.

— Ce n’est pas moi, dit-elle un peu vivement, qui aurais osé demander à notre ami de risquer sa vie pour vous sauver : c’est Deborah qui m’a priée de le faire.