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— Jack, dit Craig, ne me mets pas en colère ; tu n’es pas de force contre moi. Suis-nous tranquillement, et ne fais pas le héros ni le chevalier des dames, si tu veux gagner tes cent dollars.

Jack obéit en grognant. Après trois heures de marche, on atteignit le pied d’une colline entourée de chênes et de tulipiers. À mi-côte était bâtie une belle ferme qui appartenait à Craig. Arrivé là, le Yankee congédia tout le monde, excepté Appleton, et paya généreusement ses complices.

— Mes chers amis, dit-il, je n’ai pas besoin de vous dire que vous venez de faire une expédition qui peut vous mener à la potence ; je ne vous prêche pas la discrétion.

Craig et Appleton, restés seuls, firent entrer Julia et la jeune mulâtresse dans la maison. Un énorme chien de garde en défendait les approches.

— Miss Julia, dit Isaac, aujourd’hui je prends ma revanche. Rendez-moi la fortune de M. Sherman.

— C’est de l’argent que vous voulez, dit Julia. Eh bien ! mettez-moi en liberté, et je vous donnerai pour rançon tout ce qui me vient de votre oncle.

— J’y compte, dit Craig ; mais je veux être payé d’abord. Vous serez libre plus tard.

— Plus tard, répliqua-t-elle, vous m’assassineriez !

— Vous vous trompez, miss Julia ; je suis votre ami plus que vous ne pensez, et, pour preuve, je veux assurer votre bonheur en vous donnant un mari de ma main.

Appleton, qui écoutait la conversation en silence, se caressa le menton. Miss Alvarez se mit à trembler.

— Craig, dit-elle, au nom du ciel, épargnez-moi. Vous m’avez déjà fait beaucoup de mal ; n’achevez pas ma ruine. Laissez-moi vivre, je vous en supplie.

— Que dites-vous là, Julia ? interrompit le Yankee. Je vous propose un mari, et vous croyez qu’on vous assassine ! Justifiez-vous donc, Appleton ; déployez les grâces que vous avez reçues de la nature ; faites sentir à miss Alvarez qu’elle est entre les mains d’un honnête homme et d’un chevaleresque citoyen du Kentucky. Ce n’est pas à moi de faire pour vous la cour à cette jeune et aimable dame.

— Miss Alvarez, dit Appleton, je vais m’expliquer clairement avec vous. M. Craig, mon ami, ici présent, était riche du chef de son oncle. Vous avez capté cette succession, à ce qu’il dit, et vous avez failli le ruiner. Deux cent cinquante mille dollars, avec les intérêts, font aujourd’hui une somme de trois cent mille dollars que vous lui devez. Quant à moi, vous m’avez fait chasser par ce maudit Français, qui est votre associé, et peut-être quelque chose de plus. Je