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temps. Sortons. Nous surprendrons miss Alvarez avant qu’elle soit sur ses gardes.

Le géant le suivit sans répliquer.

À peine étaient-ils sortis que Jeremiah survint, attiré par le bruit. C’était un vrai Kentuckien, hardi, plein de sang-froid et de résolution, prompt surtout à prendre son parti en toute rencontre et ne s’étonnant de rien. Comme le dégât était déjà irréparable, il ne chercha pas à s’y opposer. Les mains tranquillement croisées derrière le dos, il regardait s’agiter la foule.

— Quelques dollars de plus ou de moins, pensait-il, qu’importe à mon ami Acacia ? La première spéculation venue lui rendra cet argent avec usure.

Tout en faisant cette réflexion philosophique, il s’inquiéta du sort de Lewis.

— Est-ce que John Bull s’est échappé ? demanda-t-il à un fermier gros et gras qui frappait consciencieusement à coups de hache sur les chaises et sur les tables.

— Il faut qu’il se soit jeté dans le Kentucky, répondit le fermier sans interrompre sa besogne. Dès que nous sommes entrés dans la maison, il a disparu.

— La vieille Angleterre ne tiendra jamais contre la jeune Amérique, dit sentencieusement Jeremiah.

— N’est-ce pas, monsieur ? dit le fermier en serrant la main d’Anderson. Vous êtes un vrai patriote, je le vois.

— Oui, monsieur, le cœur qui bat dans ma poitrine est celui d’un libre Américain, et mon sang coule plus fièrement dans mes veines quand je pense que je suis un enfant du noble Kentucky.

— C’est beau, cela ! dit le fermier. Voulez-vous boire un verre de sherry, camarade ?

— De grand cœur ! et non-seulement un verre, mais une pinte ! Tout en buvant, Anderson réfléchissait.

— Qu’est devenu ce niais ? disait-il. Tout le monde le connaît à Oaksburgh ; où va-t-il se réfugier ?

Il quitta son nouvel ami et rentra chez lui. Personne n’avait vu Lewis.

— Il n’est pas assez fou pour revenir dans sa propre maison.

Tout à coup une idée terrible traversa son esprit.

— Le malheureux aura cherché asile chez miss Alvarez. Tout est perdu !

Il prit son revolver et courut chez Julia. La maison était ouverte. Dick, curieux comme un nègre et comme un enfant, avait quitté son poste pour voir saccager l’imprimerie. Du haut en bas, Jeremiah trouva la maison déserte. La chambre de Julia était en désordre ; les