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celle de Valladolid. Dès lors, à mesure que l’Espagne reprend possession d’elle-même, les moyens d’instruction se développent et se multiplient dans les villes reconquises, à Valence, à Séville, à Murcie, tandis que d’autres établissemens se forment à Saragosse, à Lérida, à Barcelone, dans ces deux régions de l’Aragon et de la Catalogne qui avaient moins souffert d’ailleurs, soit par suite de leur affinité avec le monde roman, soit en raison de l’esprit d’entreprise maritime des Catalans et d’une sorte de communication permanente avec la France et l’Italie. Ce mouvement continue, et a son point culminant au XVIe siècle, lorsque le grand cardinal Cisneros fonde l’université d’Alcala. C’était le moment où, désormais affranchie, formée à l’héroïsme par la lutte et fatalement entraînée par la politique de Charles-Quint, l’Espagne allait se répandre sur l’Europe. Une grande littérature commençait à naître. La Péninsule alors ne comptait pas moins de quarante universités, successivement fondées depuis trois siècles. Comment ces universités étaient-elles venues au monde? On retrouve dans leurs origines comme dans leur développement les élémens essentiels et primitifs de la civilisation espagnole, l’initiative individuelle, un grand fonds d’indépendance pratique, le patronage royal et la sanction religieuse. Des évêques, des grands, des municipalités, fondaient des écoles dans une pensée de piété ou pour encourager la culture de l’esprit. Ces écoles se groupaient et formaient ce qu’on appelait un estudio general ; les souverains donnaient l’existence civile à ces corps moraux, auxquels ils accordaient des privilèges considérables, jusqu’à des exemptions d’impôts et une juridiction propre. La bulle d’institution définitive venait du saint-siège, et une université de plus était créée. Entre ces divers centres d’enseignement, il n’y avait d’ailleurs aucun lien nécessaire. Les universités étaient indépendantes les unes des autres; chacune avait son organisation, ses statuts, et se régissait elle-même. Ce qu’on a depuis appelé la liberté de l’enseignement existait par le fait à cette époque, en ce sens qu’aucune règle uniforme ne présidait à ce vaste mouvement. Les rois, il est vrai, avaient songé quelquefois à créer une sorte d’administration commune et à introduire une certaine régularité dans l’instruction publique. Ils n’avaient réussi que très imparfaitement; ils trouvaient un premier obstacle dans le vif sentiment d’indépendance de toutes ces universités, entre lesquelles il n’y avait en réalité que deux liens, l’un résultant d’une protection générale exercée par la couronne, l’autre, et c’était le plus puissant, inhérent à une croyance religieuse partout la même et partout également ardente. Par là les papes étaient réellement les maîtres de l’enseignement espagnol, et c’est pourquoi aussi les rois cherchaient, quand ils le pouvaient, à faire prévaloir les prérogatives de l’autorité civile. Même au sein de l’unité catholique la plus entière, c’était la lutte éternelle des deux pouvoirs.

Ce qu’on sait de mieux le plus souvent sur les universités espagnoles, c’est ce qu’en ont dit les romans picaresques. Ces tableaux, tracés par l’imagination, ne sont pas sans vérité comme descriptions de mœurs. Seulement, ce qu’il y eut d’original, de sérieux et de puissant dans cette organisation disparaît dans les détails d’une vie parsemée d’aventures, pleine de turbulence et d’humeur joyeuse. C’était réellement un monde curieux, sorti tout entier des entrailles de l’Espagne, singulièrement démocratique dans son essence