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libre de préjugés, en faisant la part d’une popularité éphémère, et en vous dépouillant sans peine de passions que vous n’avez pas connues : il se trouvera aussitôt des critiques qui découvriront dans vos appréciations morales et littéraires la trace évidente de l’esprit de parti; ils vous accuseront d’un pseudo-libéralisme auquel ils renoncent volontiers, c’est une justice à leur rendre. Ils croiront montrer leur goût en admirant fort les dernières œuvres du chansonnier, et s’ils ont des leçons à donner, ils choisiront sans doute leurs exemples ailleurs. Ainsi vont les choses, rien n’est plus vrai, et tout cela n’empêche pas que l’esprit ne trouve encore sa puissance, sa force et sa garantie dans l’indépendance, dans l’étude librement appliquée à l’art, à l’histoire, à la vie humaine, au passé comme au présent.

Toutes ces luttes, toutes ces agitations confuses, toutes ces contradictions de l’esprit contemporain qui surprennent parfois et troublent les jugemens les plus fermes, si on voulait les analyser dans leurs causes et dans leur principe, on rencontrerait bientôt devant soi sans nul doute ce terrible événement qui remplit l’histoire, la révolution française : c’est là en quelque sorte le point de départ du monde actuel. Un jour on arrivera certainement à la vérité sur cette formidable crise de la fin du siècle dernier. En attendant, c’est à qui interrogera cette histoire : les plus sincères s’arrêtent parfois et hésitent comme devant une énigme qui change de face à tout instant, selon les époques où l’on vit, selon les points de vue où l’on se place. De toute façon il reste palpable à tous les yeux, il ressort de tous les faits que, si quelques-uns des problèmes posés par la révolution sont résolus, il en est d’autres qui se débattent encore, et de là vient cet attrait passionné, irrésistible, qui pousse les esprits vers l’étude de ce temps, qui inspire aujourd’hui même à M. Lanfrey un nouvel Essai sur la Révolution française. Le nouveau livre ne raconte point les événemens, il ne les remet pas en scène, ou du moins il les peint d’un trait rapide. M. Lanfrey s’est proposé un autre but, que bien des écrivains avant lui ont voulu atteindre, et que bien des écrivains après lui poursuivront encore. Il a essayé de dégager de l’histoire des faits les principes, les symboles, l’esprit, les doctrines de la révolution française, et ces doctrines, il les a étudiées dans l’assemblée constituante, dans la convention, dans les lois, dans les œuvres des hommes et des partis. M. Lanfrey a écrit, il y a quelques années déjà, un livre d’ardente polémique sur l’église et les philosophes au XVIIIe siècle, et de l’inspiration agressive de ce premier livre il reste sans doute quelque chose encore dans le nouveau travail de l’auteur. De plus, l’Essai sur la Révolution française n’est pas toujours nouveau, et il manque assurément de conclusions précises. Pourtant, il faut le reconnaître, M. Lanfrey entre dans l’étude des problèmes de la révolution avec un esprit plus calme, et qui, sans abdiquer son trop vif enthousiasme du XVIIIe siècle, fait un effort visible pour n’accepter que les idées sérieuses et justes de ce temps au moment où elles vont se traduire en faits dans le premier feu de la révolution. Entre l’assemblée constituante et la convention, le choix de M. Lanfrey n’est point douteux ; l’auteur est avec la première de nos assemblées politiques, de même qu’il est avec les girondins contre les montagnards et les jacobins. Il peint en traits mordans les démagogues, les inventeurs de religions et de systèmes socia-