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tholo dans le Barbier de Séville, celles de don Magnifico et de Dandini dans la Cenerentola, Fernando ou le podesta dans la Gazza ladra, don Juan ou Leporello dans le chef-d’oeuvre sans pareil, la partie du comte ou celle de Figaro dans le Nozze, Elmiro dans Otello, Assur dans la Semiramide, Henri VIII dans Anna Bolena. Les Puritains, la Lucia, Don Pasquale, l’Elisir d’amore et divers autres ouvrages contemporains ont été des épreuves non moins décisives pour le talent de Lablache. Il a chanté dans le Fidelio de Beethoven, dans Robert le Diable, dans les Huguenots et dans l’Ètoile du Nord, traduite en italien et représentée à Londres en 1854. Nous l’avons vu à Paris, en 1851, dans la Tempesta de M. Halévy, donner une physionomie étonnante au personnage de Caliban. Pendant vingt-deux ans, Lablache n’a cessé d’être l’artiste privilégié du public de Paris et de Londres, où il allait chanter pendant la saison d’été, alternant ainsi d’une capitale à l’autre. En 1833, il fit une excursion à Naples, où il chanta le Guillaume Tell de Rossini avec une telle puissance d’effet que l’autorité en fut alarmée. En 1852, Lablache, qui ne voulait pas vieillir sur le théâtre de Paris, crut devoir accepter les offres avantageuses qui lui étaient faites depuis longtemps par l’intendant du théâtre italien de Saint-Pétersbourg. Le noble et grand artiste fut accueilli avec beaucoup de distinction par l’empereur Nicolas et le public choisi de la capitale de la Russie. Tous les ans, après avoir fini la saison de Londres, Lablache faisait ce long et périlleux voyage de Saint-Pétersbourg, qui a dû beaucoup le fatiguer. A la fin de l’hiver de 1857, Lablache, ne pouvant plus se faire illusion sur l’état de sa santé, demanda à se retirer définitivement du théâtre. L’empereur Alexandre II daigna lui témoigner ses regrets par des paroles affectueuses. Il lui envoya une médaille d’honneur avec le droit de la porter suspendue au cordon de l’ordre de Saint-André.

En traversant l’Allemagne, Lablache s’arrêta pendant deux mois aux eaux de Kissingen en Bavière, où il rencontra l’empereur Alexandre II, qui l’accueillit de nouveau avec une cordialité charmante. N’ayant pas éprouvé un grand soulagement de la vertu des eaux de Kissingen, Lablache, après un court séjour fait à Paris, se rendit à Naples, espérant que le beau climat qui l’avait vu naître lui serait plus propice. Ses vœux n’ont pas été exaucés. Après une longue et douloureuse maladie, le grand artiste est mort à Naples le 23 janvier 1858 d’une bronchite aiguë. Il était âgé de soixante-deux ans. Parmi les personnes qui l’assistaient en ses derniers momens, il y avait le padre Calveri, un moine qui a été lui-même un virtuose, et qui est le frère de ce même ténor Winter avec lequel Lablache a chanté si souvent dans sa longue et brillante carrière. D’après sa volonté, les restes mortels de Lablache ont été transportés à Paris, la ville qu’il a le plus aimée, parce qu’il y a été le mieux apprécié. Ses cendres reposent dans un caveau de famille à Maisons-Laffitte, où sa femme l’avait précédé de deux ans. Lablache a eu treize enfans, dont sept sont pleins de vie, et tous honorablement établis. L’un de ses fils, sorti de l’École polytechnique, est capitaine d’artillerie.

Lablache avait une des plus belles têtes qu’on ait vues au théâtre : un front large, une chevelure abondante, de grands yeux noirs, doux, intelligens, enchâssés sous une arcade bien garnie et admirablement dessinée, un grand nez aquilin, une bouche souriante ornée de dents fines et solides, des