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ment massacrés, notre vengeance se fonde sur la nationalité des victimes et non sur leur qualité de prêtres catholiques. Convient-il de recourir aux moyens violens pour contraindre le gouvernement cochinchinois à lever l’interdiction qui s’oppose aux progrès du christianisme, et doit-on lui prêcher la tolérance à coups de canon? C’est à peu près ce qui a été conseillé. Je ne saurais partager cet avis. Une nation catholique qui consentirait à faire de la propagande religieuse à main armée risquerait de se voir entraînée bien loin. De la Cochinchine il faudrait aller au Japon, etc. Il ne serait donc pas équitable, et il pourrait être périlleux dans l’avenir, de motiver une expédition en Cochinchine sur l’intérêt du catholicisme. Les conquêtes de la foi doivent, au temps où nous sommes, s’accomplir par la persuasion, par le dévouement, par le sacrifice, et non par la guerre. S’il est vrai que le gouvernement ait songé à diriger une escadre vers les côtes de l’empire d’Anam, il aurait, comme on l’a vu plus haut, d’autres griefs à invoquer, et il serait en mesure de pousser jusqu’à la conquête les droits de la victoire. On pourrait alors occuper non-seulement la petite presqu’île de Touranne, mais encore une partie de la vallée qui s’allonge du nord au sud de la Cochinchine, entre les montagnes et la mer; la possession d’un seul port au fond de l’Asie n’ajouterait rien à l’influence française dans cette région : c’est sur un territoire d’une certaine étendue qu’il convient de planter notre drapeau, si l’on veut obtenir un résultat sérieux.

Les observations qui précèdent ne reposent que sur une hypothèse, car on ne sait pas encore exactement si l’expédition de France en Chine a reçu l’ordre de s’emparer d’un point ou d’un territoire quelconque. Ce que je me suis attaché à démontrer, c’est que les précédons de notre politique nous amènent naturellement à chercher une colonie dans ces contrées de l’Asie où se sont transportées depuis une vingtaine d’années des luttes d’influence auxquelles la France, dans l’intérêt de l’équilibre européen, ne saurait demeurer plus longtemps étrangère; c’est que cette colonie, fondée soit dans une île dépendante du Céleste-Empire, soit dans la presqu’île de Corée, soit en Cochinchine, soit encore dans l’une des grandes îles de l’archipel malais, si l’Espagne ou la Hollande consentait à nous céder une part de leurs droits sur les immenses territoires qu’ils y possèdent, doit être d’une étendue assez vaste pour que la résolution de la France éclate au grand jour, et que nous puissions attendre dans des conditions respectables les révolutions asiatiques dont l’Angleterre et la Russie sont déjà prêtes à recueillir les fruits; c’est afin que la politique française dans l’extrême Orient reparaisse et se relève. Quant au choix de la colonie, il dépend nécessairement d’informations précises sur les richesses du sol, sur l’hydrographie des côtes, sur le climat, etc., informations que le gouvernement seul est en mesure de faire recueillir, et qu’il ne puisera pas uniquement, il faut l’espérer, dans les récits des voyageurs.

Il est évident qu’un établissement de cette nature serait assez dispendieux et exigerait l’envoi d’un corps d’armée de plusieurs milliers d’hommes : il faut donc s’attendre à rencontrer de graves et nombreuses objections ; mais qu’y faire? Si nous voulons conserver notre rang dans le monde, ne sommes-nous pas condamnés à nous déplacer avec les événemens, à suivre notre