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ressent, ressent, dans le présent et pour l’avenir, les relations de la Grande-Bretagne avec le Céleste-Empire. Afin de donner plus de poids à sa démarche, le gouvernement anglais invita les cabinets de Paris et de Washington à se joindre à lui dans cette nouvelle croisade entreprise au nom du commerce et de la civilisation, et ses ouvertures, assez froidement reçues par le gouvernement américain, qui se borna à envoyer en Chine un commissaire pour observer les événemens et protéger au besoin les intérêts de ses nationaux, furent accueillies avec empressement par le gouvernement français, qui avait lui-même des griefs particuliers à faire valoir contre le gouvernement chinois. De là l’envoi de M. Le baron Gros, investi de pouvoirs analogues à ceux qui ont été conférés à lord Elgin ; de là le concert entier et absolu établi, dès leur première rencontre, entre les deux plénipotentiaires; de là le bombardement et la prise de Canton par les deux escadres; de là enfin ce concours mutuel, cette action simultanée des deux plus grandes nations de l’Occident, unissant leurs drapeaux et leurs forces contre le plus vaste empire de l’Asie.

Quelle sera la suite de cette lutte? S’en tiendra-t-on à la prise et à l’occupation de Canton ? Portera-t-on la guerre vers le nord, dans la direction de la capitale? Les escadres alliées, reprenant le sillage tracé en 1842 par l’escadre anglaise, remonteront-elles le fleuve Yang-tse-Kiang, pour appuyer ou pour chasser les rebelles qui occupent Nankin? Le gouvernement chinois, après la perte de la ville de Canton et même de toute la province, cèdera-t-il aux sommations qui lui seront adressées, ou bien, se retranchant dans son impassibilité traditionnelle, laissera-t-il les alliés se promener impunément sur une partie de son territoire et prendre des gages dont la conservation serait, il faut le dire, assez embarrassante, très coûteuse, et peut-être, sous un tel climat, très meurtrière? Quelle sera, en présence de cette guerre extérieure, l’attitude de l’insurrection chinoise? Le champ des hypothèses est bien vaste, et quand il s’agit d’un pays dont la situation intérieure est encore aussi peu connue, il est très difficile de s’y orienter sûrement. Laissons donc aux événemens le soin de se dérouler et de s’expliquer eux-mêmes, et, sans avoir la vaine prétention de rien prédire, attendons simplement les récits officiels. Qu’il nous suffise de penser qu’une entreprise dans laquelle la France et l’Angleterre sont désormais engagées ne saurait aboutir à un échec, et tenons pour assuré que la guerre actuelle aura pour résultat une réforme considérable, sinon une révolution complète, dans la nature et l’étendue des rapports de l’Europe avec la Chine.

Mais, on peut le dire dès à présent, quelle que soit l’issue de la lutte, le gouvernement français a été sagement inspiré, lorsqu’il s’est décidé à prendre sa part de la nouvelle guerre de Chine, Nous entendons bien certaines personnes prétendre encore que nous n’avons que faire à ce bout du monde ; que si nos missionnaires veulent convertir les Chinois, ce doit être à leurs risques et périls; que le temps des croisades et des guerres de religion est fort heureusement loin de nous, etc. Selon d’autres, nous nous laisserions béatement entraîner à la remorque des Anglais; séduits par des rêves chevaleresques et attirés par l’odeur de la poudre, nous irions enrôler nos bataillons à l’appui et presque au service d’un allié qui recueillera seul les