Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tant que dura la guerre, anglo-chinoise, le gouvernement français, qui n’avait point à intervenir d’une façon directe dans la querelle, se borna à observer les événemens. Allié de l’Angleterre, il ne pouvait songer à contrarier les desseins de cette puissance, et il n’avait en réalité aucun intérêt à prendre parti contre elle. D’un autre côté, il ne pouvait invoquer de prétexte sérieux pour se tourner contre les Chinois. La neutralité lui était donc commandée par les circonstances, et il trouva, pour pratiquer honorablement cette politique de neutralité, la plus difficile souvent et la plus délicate de toutes les politiques, un officier d’un rare mérite, le capitaine de vaisseau Cécille, commandant la frégate l’Érigone. Par son attitude loyale et discrète, M. Cécille sut se concilier le respect des Anglais et la confiance des mandarins, en même temps que par de fréquens rapports il transmettait à son gouvernement des informations précises sur les divers incidens de la lutte et de sages conseils sur la conduite qu’il convenait à la France de tenir en présence des graves événemens dont la Chine était le théâtre. Ce fut sans nul doute la correspondance de l’amiral Cécille qui inspira au gouvernement français des vues saines et justes à l’égard de l’extrême Orient, et qui le détermina à jouer désormais un rôle plus actif dans ces régions lointaines. Aussi, dès que le traité de Nankin (1842), consacrant la victoire de l’Angleterre, eut ouvert au commerce européen en Chine de plus larges voies, le ministère jugea qu’il importait à la France d’obtenir directement et par des procédés amiables les facilités que la Grande-Bretagne venait d’arracher par les armes au Céleste-Empire. Il résolut d’envoyer à Canton une ambassade extraordinaire qui devait se rencontrer avec une mission que le gouvernement des États-Unis se préparait, de son côté, à expédier de Washington, et il comprit qu’il était nécessaire d’entourer cette ambassade d’un certain éclat et d’un appareil de force qui fût de nature à relever aux yeux des peuples de l’extrême Orient le prestige de notre pavillon. L’ambassadeur, M. de Lagrené, partit de Brest vers la fin de 1843; il arriva à Macao dans le courant de 1844, et la division navale des mers de Chine, placée sous le commandement de l’amiral Cécille, se trouva composée de cinq navires de guerre. La France était donc, au point de vue diplomatique comme au point de vue militaire, dignement représentée.

La mission française fut très cordialement accueillie, au moins en apparence, par les mandarins. Le vice-roi de Canton, Ky-ing, qui, après avoir signé la paix sous les murs de Nankin, fut chargé de négocier les traités successivement conclus avec les autres puissances européennes, se montra fort empressé à exprimer son bon vouloir pour ses nouveaux alliés, et sincèrement disposé à pratiquer envers les étrangers une politique plus libérale. La discussion du traité d’amitié et de commerce ne présenta aucune difficulté; mais ce qui honora surtout la mission de M. Lagrené, ce fut la négociation hardiment engagée par l’ambassadeur français en faveur du christianisme. Après avoir opposé la plus vive résistance, employé même les plus touchantes supplications pour couper court à des demandes dont l’objet était si contraire aux idées de son gouvernement, Ky-ing se vit amené à prendre des engagemens formels qui, pour n’être point consignés dans le traité de Whampoa, n’en demeurent pas moins, sous la forme d’édits rédi-