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un jour porter une armée de soixante mille hommes sur l’Indus, soulever les Mahrattes et ruiner la puissance de l’Angleterre. À ces vues politiques se joignait sans aucun doute ce vague instinct du merveilleux et des choses grandes qui se retrouve toujours dans les vastes préoccupations du premier consul et de l’empereur. Les événemens européens ne laissèrent point à Napoléon le loisir d’exécuter ce qu’il avait conçu ; mais de nombreux documens attestent que, même au milieu des champs de bataille et dans les capitales conquises, l’Orient, qu’il avait entrevu dans sa jeunesse et à l’aube de sa puissance, était demeuré présent à son imagination. Sa politique à Constantinople et la mission qu’il envoya à la cour de Perse en font foi. L’empereur pressentait que l’activité du génie européen devait prochainement se porter vers l’Asie, que les colonies orientales allaient devenir un élément considérable de l’équilibre européen, et que la France regretterait vivement un jour la perte de ses territoires et de son influence dans l’Inde. C’était une pensée juste, et il n’est pas sans intérêt d’examiner si cette pensée peut être utilement reprise au temps où nous sommes, en présence des concurrens qui nous ont devancés ou supplantés dans les régions asiatiques.

L’Angleterre tient en Asie le premier rang. Par Aden, elle garde l’entrée de la Mer-Rouge ; par Hong-kong, elle est au seuil de la Chine. Entre ces deux points s’étendent les vastes domaines de l’Inde, sans cesse accrus depuis le commencement de ce siècle par une série non interrompue d’annexions et de conquêtes, et défendus à leurs extrémités par des établissemens militaires qui forment de l’ouest à l’est de l’Asie une ceinture de redoutables forteresses. Vainement a-t-on prétendu que cette puissance colossale repose sur des fondemens d’argile. Une partie de l’Inde est, il est vrai, en pleine insurrection ; l’armée du Bengale, après avoir massacré ses officiers, s’est tournée contre la domination anglaise, et elle a pu, durant quelques mois, arborer à Dehli le drapeau du Grand-Mogol ; le royaume d’Oude, récemment annexé aux territoires de la compagnie sous l’administration de lord Dalhousie, est à reconquérir presque en entier. C’est la plus violente crise que la Grande-Bretagne ait eue à traverser depuis le jour où elle s’est établie sur le sol de l’Inde ; mais, dès le début, elle a tenu tête à l’orage : une poignée d’Européens, sous la conduite de chefs héroïques, a résisté glorieusement aux attaques des rebelles, et l’arrivée des premiers renforts a permis à l’Angleterre de relever le prestige de ses armes. L’issue de la lutte ne paraît point douteuse, et, quels que puissent être les incidens d’une crise passagère, l’Angleterre, demeurée maîtresse de la péninsule indienne, maîtresse d’Aden, de Ceylan, des ports birmans, du détroit de Malacca, de Labuan, de Hong-kong, ne saurait redouter dans les mers de l’Inde aucune compétition européenne.

Après la Grande-Bretagne, c’est la Hollande qui occupe dans l’Inde les plus vastes territoires. Sumatra, Bornéo, Java et le long cordon des îles de la Sonde, les Moluques, fournissent à son génie colonisateur un champ fécond habilement exploité. N’oublions pas dans cette énumération rapide le petit établissement de Décima, sur le sol du Japon. C’est en Asie que réside la véritable puissance de la Hollande ; c’est de là que ce pays tire sa richesse, sa grandeur maritime et commerciale. Avant 1824, la Hollande possédait