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au lendemain, tout cela ne nous intéresse qu’à demi. Il fallait nous laisser sous l’impression de cette grande voix qui appelle les nations du Nord. La vraie conclusion du drame, ce n’est pas la chute de Caligula, c’est la chute de l’empire romain tout entier.

Telle est la tragédie de M. Frédéric Halm. Cette fidèle analyse aura suffi, je l’espère, pour expliquer l’immense succès qu’elle a obtenu sur toutes les scènes de l’Allemagne. L’intérêt dramatique y est soutenu par une haute inspiration morale. Deux idées surtout ont été représentées par le poète, l’avilissement de l’âme par l’esclavage et la lutte de l’enthousiasme patriotique avec l’instinct maternel. M. Edgar Quinet, dans son drame des Esclaves, a montré aussi en d’énergiques tableaux comment la servitude dégrade le cœur de l’homme. Il y a même certaines analogies de détail entre les deux œuvres : le Thumélicus de M. Halm, s’exaltant à la pensée des combats du cirque, semble développer ces beaux vers de M. Quinet :

Quand au cirque à la fin le patron me déchaîne,
O joie! ô volupté du ciel! dans chaque veine
Je sens couler en moi l’orgueil d’un demi-dieu.
Naître est souvent un deuil; mourir est un beau jeu!
Qu’est devenu l’esclave? Il a fait place à l’homme.
Le véritable esclave à la chaîne, c’est Rome,
Qui, penchée à demi, tremblante, l’œil hagard.
Sur le sable rougi suit mes pas, mon regard...
Et moi qui tiens le glaive et par qui le sang coule.
Je suis pour un instant le roi de cette foule.
Les belles, au sein nu, les bras tendus vers moi,
Pâlissant, tressaillant de plaisir et d’effroi.
M’aiment d’un fol amour : « Qu’il est beau ! disent-elles.
Est-ce un Dace, un Gaulois? O vierges immortelles,
Prolongez, épargnez sa vie encore un jour!
Je respire en passant ces paroles d’amour;
Puis je frappe. Aussitôt du béant vomitoire
Part un rugissement de la foule : « Victoire! »
Je m’assieds près du mort. Tandis que de mon flanc
Je regarde couler goutte à goutte mon sang,
Le licteur à mon front attache la couronne.

Je ne sais si M. Halm a connu ces vers de M. Quinet, publiés dix- huit mois avant que le Gladiateur de Ravenne ait paru au théâtre : en tout cas, le rapprochement que je viens de faire ne nuirait en rien à l’originalité de la tragédie allemande. Une même pensée première a inspiré aux deux écrivains des peintures qui ne se ressemblent pas. L’œuvre de M. Quinet est un poème plutôt qu’un drame; elle a par instans les allures de l’épopée, et l’inspiration philosophique y apparaît sans cesse. L’ouvrage de M. Halm est un drame où tous les personnages vivent de leur vie propre sans que le poète