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teur exhalant sa stupide colère et maudissant cette origine germanique qui lui attire les moqueries de ses camarades. « Eh bien ! venge-toi, dit Lycisca. Ils te raillent parce que tu es Allemand; c’est sous le costume de ta race qu’il faut les frapper du glaive. César le demande; on dirait vraiment que César sait ce qui se passe ici, aucun ordre de sa part ne pouvait mieux te convenir. Allons, mon prince de Germanie, courage! Celui qui t’a insulté, Kéyx, sera demain dans le cirque en face de toi. Sois vainqueur, mon amour est le prix du combat. » Le gladiateur, avec ses emportemens de bête fauve, saisit déjà la courtisane entre ses bras, quand Thusnelda, la chaste veuve germaine, la noble mère sanctifiée par la douleur, se présente tout à coup. L’auteur n’a pas reculé devant les cruautés de son sujet. Il y a là une scène poignante, odieuse. La courtisane insulte la mère, et le fils prend le parti de la courtisane. Le malheureux est-il déjà descendu à ce degré d’ignominie? La veuve d’Armin apprend bientôt que son fils, ce Sigmar tant aimé, l’espoir des tribus allemandes, est un gladiateur qui débutera demain dans le cirque. Ce sera une lutte à mort, et Sigmar portera le costume des Germains.


« THUSNELDA. — Une lutte à mort!... Le costume germain!... Sigmar, je ne puis croire cet homme... Parle : es-tu ce qu’il a dit? Es-tu?... Parle!

« THUMELICUS. — Il a dit vrai. Oui, je suis un gladiateur.

« THUSNELDA. — Un gladiateur!... toi!...

« THUMELICUS. — Je sais me battre à cheval et en char. Dans le combat à la faux, dans la lutte aux lacets, on me cite comme un maître ; oui, un maître! demande à Glabrion.

«THUSNELDA. — Le fils d’Armin! (Elle cache son visage dans ses mains, puis, après une pause, marchant droit à Flavius :) Il est donc vrai ! Ainsi ce ne serait pas assez pour vous d’égorger le fils d’Armin et de Thusnelda sous les yeux de, sa mère ! O raffinement de cruauté! vous voudriez lui faire porter le costume et les armes de ses aïeux, vous voudriez ajouter l’infamie au meurtre, dans la race d’Armin vous voudriez déshonorer l’Allemagne entière ! — Vous n’y parviendrez pas. Les dieux nous ont assigné un autre but. Que César ordonne et menace, un destin plus grand nous est réservé, et ce n’est pas de cette mort infâme que mourra la Germanie.

«FLAVIUS. — O femme! tu es folle. Quand César dit oui, qui oserait dire non?

«THUSNELDA. — Moi!... Jamais, va le dire à ton maître, jamais Thusnelda n’assistera en habits de fête à la honte de son fils, au déshonneur de l’Allemagne ! Jamais le fils d’Armin, portant par dérision les armes de son père, ne se battra dans le cirque pour défendre sa vie! Jamais, te dis-je, jamais! C’est mon fils, il ne se battra pas!

« THUMELICUS. — Ne pas me battre! Veux-tu me rendre fou? veux-tu que la rage me prenne?

«THUSNELDA. — O vous, dieux tout-puissans!...