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La réponse de l’Anglais fut si prompte, qu’il n’eut pas le temps de la réflexion ; il en fut surpris et presque effrayé. Sa phrase ne disait pas : Je vous aime, mais le ton et l’accent de la voix le disaient clairement. Il baissa les yeux, maudissant sa témérité. Lewis, très fort en théologie, connaissait peu de chose en amour. Julia rougit un peu, et se remit aisément. Elle aimait Acacia, mais elle aimait encore plus qu’on la trouvât belle, et souffrait trop volontiers qu’on le lui dît. Pardonnez-lui : c’est au pôle et sur les côtes du Groenland qu’on connaît l’amour vrai et désintéressé ; les gens du midi ne connaissent que le plaisir.

— Je ne suis ni belle ni bonne, dit Julia ; mais je suis sensible aux malheurs de mes frères, qui sont esclaves comme je l’ai été moi-même. Je n’oublie pas que la générosité de M. Acacia m’a seule tirée de la servitude, et qu’il a fait de moi une femme libre, riche et heureuse.

Le nom du lingot excita la jalousie de l’Anglais.

— Vous l’aimez beaucoup ? dit-il.

— Oui, dit Julia en souriant, je l’aime comme l’ami le plus tendre et le plus dévoué. Je lui dois tout.

— Ah ! dit Lewis en soupirant, pourquoi ne me suis-je pas trouvé là quand le barbare Craig vous mit en vente ? Je n’aurais laissé à personne le bonheur de vous rendre la liberté ; mais je puis encore vous servir.

— Comment ? dit Julia étonnée.

— Il a sauvé le corps périssable, je veux à mon tour sauver votre âme immortelle. Miss Alvarez, vous êtes la plus belle des femmes et la meilleure, mais vous êtes plongée dans les ténèbres du papisme. Vous avez la beauté et le parfum du lis qui croît dans la solitude ; votre cœur est un temple dont les murailles sont faites de jaspe et de pur diamant taillé par un artiste divin, mais dans ce temple admirable vous offrez des sacrifices aux faux dieux. Vous ignorez la vie spirituelle et ce monde innombrable d’esprits qui nous entourent, qui nous pénètrent de leur substance, qui dirigent à notre insu nos pensées et nos actions. Vous ignorez ces êtres puissans qui comblent l’immense et effrayant intervalle qui nous sépare du Créateur, et toute cette hiérarchie céleste dont Swedenborg seul et quelques-uns de ses disciples bien-aimés ont pu contempler le merveilleux spectacle. Et quelle âme fut jamais plus digne que la vôtre d’un tel bonheur ? C’est vous que Salomon voulut désigner dans le Cantique des Cantiques sous la figure de l’aimable fiancée qui cherche son époux, c’est vous…

Ce discours aurait pu durer longtemps, car John Lewis était fort sincère et se sentait entraîné par son éloquence ; mais miss Alvarez