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bonnes terres du Kentucky, foi de Craig, je suis prêt à vous signer un bon de vingt mille dollars.

— Et quelle est votre part dans l’affaire ?

— Fort peu de chose ; je suis modeste dans mes désirs. Ne remarquez-vous pas que les affaires d’Oaksburgh sont mal administrées, et que l’ancien maire, qui vient de mourir, était un pauvre homme ? La ville possède plus de douze mille acres de terres excellentes, qui sont incultes. Cela nous déshonore aux yeux des étrangers. Un maire sage et habile…

— Achèterait ces terres publiques à vil prix et les revendrait fort cher. Bien, je vous comprends. Comptez sur ma voix et sur toutes celles de mon église. J’espère que vous ne m’oublierez pas dans l’achat des terrains.

— Convenu. Ce n’est pas tout : il faut dès à présent élever autel contre autel, et, s’il se peut, provoquer une émeute contre Acacia et son ami Lewis. Je connais Acacia, il est d’un naturel impatient et prompt, il fera quelque imprudence, on en viendra aux mains, et… Dieu sait ce qui peut arriver dans une bagarre : les balles ne connaissent personne.

— J’espère, dit gravement Benton, que vous ne pensez pas à le tuer ?

— Moi ! à quoi bon, très cher ? J’aime mon prochain comme moi-même. Si, ce qu’à Dieu ne plaise, mon prochain était tué par quelque maladroit, j’en serais très affligé ; mais je ne crois pas que cette crainte doive m’empêcher de travailler à la vigne du Seigneur et de chasser tous les papistes du comté. Un petit mal ne doit jamais empêcher un grand bien.

— Bien dit ! Ah ! cher ami, vous êtes un de ces braves enfans de Lévi que Moïse envoya massacrer vingt-trois mille Israélites après la construction du veau d’or. Vous avez la foi et les œuvres. Dieu vous récompensera.

— Je l’espère, répondit modestement Craig, et il sortit pour laisser le champ libre à son allié.

— Ténébreux coquin ! pensait Benton. Avec quel sang-froid il parle de tuer un homme ! Hélas ! pourquoi n’ai-je pas fait fortune dans la cannelle et le clou de girofle ? Cependant je ne puis pas quitter Oaksburgh. Il faut que je vive après tout ; tant pis si d’autres en meurent. Pourquoi vient-on se mettre en travers de mon chemin ? Si Acacia est tué, je ne serai pas complice du meurtre ; je le désavoue d’avance. Que le sang versé retombe sur la tête du meurtrier !

Après quelques réflexions de cette espèce, Benton ne pensa plus qu’à seconder Craig de tout son pouvoir. De son côté, celui-ci, qui ne comptait pas uniquement sur l’éloquence de son associé et sur