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Cantiques et des Lamentations de Jérémie. Élevée à cette école, Deborah apprit à citer le Lévitique et l’Exode, les Proverbes de Salomon, les quatre grands et les douze petits prophètes. Elle dédaigna la musique profane, et, ne pouvant se procurer la harpe du roi David, elle méprisa l’innocent piano. En revanche, elle étudia la médecine, disséqua sans sourciller dans les amphithéâtres, et reçut son diplôme de docteur. Elle avait alors vingt-six ans. Quelques mois après, sa tante mourut en lui léguant quarante mille dollars, et Deborah retourna au Kentucky.

À l’époque où commence cette histoire, elle avait vingt-neuf ans. Depuis trois ans, elle dirigeait la maison de son frère et l’éducation de sa sœur Lucy, plus jeune qu’elle de douze ans. Lucy était l’innocence même. C’était une ravissante et blonde beauté du nord transportée au midi et dorée des rayons du soleil. Une grâce et une modestie enchanteresses donnaient du prix à toutes ses paroles. Elle avait l’attrait piquant des fleurs sauvages des bois ; on ne pouvait la voir sans l’aimer, et elle-même ne devait aimer qu’une fois. Un cœur si pur ne pouvait appartenir qu’à un seul homme et à Dieu. À la vue d’Acacia, elle rougit de plaisir et lui tendit la main comme sa sœur. Le lingot, tout hardi qu’il était avec les hommes et avec Deborah elle-même, osa à peine effleurer du bout de ses doigts cette main charmante, et s’assit en face des deux sœurs. Quand il eut présenté son nouvel ami, John Lewis raconta en peu de mots l’histoire de leur rencontre. Pendant ce récit, Lucy tenait ses beaux yeux fixés sur le lingot avec un mélange d’admiration et de tendresse. Deborah s’en aperçut, et répondit avec une certaine froideur :

— Il y a longtemps que nous connaissons le courage et le dévouement de monsieur Acacia. Le jour où il mettra le pied dans la voie du Seigneur, ce sera un gentleman accompli.

— J’en accepte l’augure, dit le Français, et pour vous montrer ma piété, voici une Bible que je prends la liberté de vous offrir, chère miss Deborah, et qui plaidera victorieusement ma cause. Quant à vous, miss Lucy, pardonnez-moi si je vous ai jugée moins parfaite, et daignez accepter cet objet profane que je n’oserais offrir à miss Deborah.

À ces mots, il tira de sa poche une Bible magnifique, reliée en or, et un coffret qui contenait un collier et des bracelets de perles. Les yeux de Lucy brillèrent de plaisir à cette vue, et l’austère Deborah elle-même sentit s’adoucir ses préventions. Elle jeta un regard de regret sur les perles destinées à sa sœur, et peut-être eût-elle souhaité pour elle-même quelque présent plus mondain, car quelle femme a jamais renoncé à être belle ? On trouve partout des bibles, mais où trouver des perles si grosses et si blanches, si ce n’est dans la mer des Indes, au pied des sombres récifs qui entourent Ceylan ?