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On comprend que tous les éditeurs de Shakspeare, depuis le commencement du XVIIIe siècle, aient été dans l’obligation de réviser le texte du poète, c’est-à-dire de faire disparaître autant que possible les fautes typographiques des éditions in-folio. On ferait une bibliothèque de tous les livres composés à ce sujet. L’immense travail accompli depuis la fin du moyen âge sur le sens de la Divine Comédie peut seul donner une idée des efforts déployés depuis cent cinquante ans par les éditeurs et les philologues anglais pour fixer enfin le texte des drames de Shakspeare. Nicolas Rowe, Théobald, Thomas Hanmer, l’évêque Warburton, Samuel Johnson, Edward Capell, George Steevens, Edmond Malone, bien d’autres encore que je pourrais citer, ont entrepris cette tâche au XVIIIe siècle, les uns avec finesse et sagacité, les autres avec une audace et une inexpérience qui font sourire à bon droit la critique de nos jours. Depuis le renouvellement de l’histoire littéraire, surtout depuis les travaux que Coleridge en Angleterre, Goethe, Guillaume Schlegel et Louis Tieck en Allemagne, ont consacrés à Shakspeare, commentateurs, éditeurs, philologues se sont remis à l’œuvre avec une ardeur croissante. À ceux qui ont suivi le mouvement des lettres anglaises dans ces dernières années, il suffit sans doute de rappeler les travaux de M. Charles Knight et de M. Alexandre Dyce. Je n’ai pas à juger ici tant de curieuses études, j’ai voulu montrer seulement que c’était là une question très vive en Angleterre, une de ces questions perpétuellement à l’ordre du jour, quand M. J. Payne Collier découvrit le précieux manuscrit qui devait résoudre, disait-il, la plupart des problèmes soulevés par la critique.

Qu’était donc ce manuscrit ? Une copie de la seconde édition in-folio dont nous parlions tout à l’heure, copie remplie en marge de notes et de corrections à la main, qui semblaient à peu près de la même date que le manuscrit même. Ces corrections, à en croire M. Collier, étaient d’une valeur inappréciable. Celui qui les avait tracées, ajoutait le savant éditeur, avait eu entre les mains des indications que ne possédaient pas les éditeurs de 1632. C’était probablement ; un comédien, un camarade de Shakspeare mieux informé ou plus soigneux que ses confrères, ou bien, s’il n’avait pas fait ces corrections d’après sa propre expérience du théâtre, il les avait empruntées à quelques documens authentiques et disparus aujourd’hui. Ces corrections, M. Collier les publia d’abord séparément[1], puis il donna une nouvelle édition de Shakspeare rectifiée d’après ces notes, et les rectifications qu’il n’avait pas hésité à faire sur la foi de son manuscrit s’élevaient à plus de mille.

L’attente publique avait été vivement excitée ; la déception fut grande, lorsqu’on examina d’un œil attentif le Shakspeare de M. Collier. Trois critiques en Angleterre, M. Singer, M. Charles Knight et M. Alexandre Dyce, discutèrent avec vivacité les corrections du fameux manuscrit. M. Singer alla jusqu’à nier l’authenticité de ces notes, semblant mettre en doute, non-seulement la sagacité, mais la probité littéraire de M. Collier ; M. Dyce et M. Knight déclarèrent que la plupart de ces corrections, de quelques mains qu’elles pussent venir, étaient inadmissibles, et que si quelques-unes d’entre

  1. Notes and emendations to the text of Shakspeare’s plays from early manuscript corrections in a copy of the folio 1632, in the possession of J. Payne Collier, esq.